Verlaine

Il compose des chansons qui sont le reflet de notre époque 

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charles aznavourLe grand poète de la chanson, Charles Trénet, a dit d’Aznavour : « Je crois que Charles Aznavour est le seul artiste français capable de chanter en style-jazz avec poésie et musicalité. Son rythme et sa nostalgie le rendent inimitable. Je l’admire autant pour ce qu’il écrit que pour ce qu’il interprète. Il est VRAI. La chanson est en marche » !

Aznavour fouille la richesse des mots les plus simples et cette richesse d’expression est à la mesure de notre temps. Il pense ses chansons et a ses structures propres, déterminantes. On reconnaît ses chansons comme on reconnaît celles de Trénet, Brassens, Francis Lemarque ou Léo Ferré. Comme le Théâtre et le Cinéma, la chanson est un art du spectacle. Elle doit être mise en scène. Mais comme le roman, elle est un art du récit. Elle n’a pas de limites dans l’espace et le temps. Que de choses se sont passées entre Jean-Jacques Rousseau et Charles Aznavour; et pourtant…

Que le jour me dure
Passé loin de toi
Toute la nature
N’est plus rien pour moi
………………..
Le cœur me palpite
Quand j’entends ta voix
Tout mon sang s’agite
Dès que je te vois

J.-J. Rousseau

Le côté le plus attirant de la chanson, c’est son caractère d’art populaire. Léon-Paul Fargue disait : « La chanson populaire est la langue maternelle du cœur ». Les arts plastiques, la poésie ont des domaines plus hermétiques, où l’on n’a accès que par des chemins étroits.

Comme un musicien travaille le rythme et les sonorités d’une phrase musicale, Aznavour travaille le rythme des mots et leurs sonorités. Leur valeur émotive devient si grande et leur lien entre elles si continu que l’on peut les lire comme un poème, sans le secours de la musique. Comme Verlaine, il a chanté la pluie :

Il pleut sur mon cœur 
Comme il pleut sur la ville 
Quelle est cette langueur 
Qui pénètre mon cœur ? 
Oh, le bruit de la pluie 
Par terre et sur les toits; 
Pour un cœur qui s’ennuie, 
Oh, le bruit de la pluie ! 

Verlaine

Une bonne chanson peut « faire » une vedette, mais une vedette ne peut jamais sauver une mauvaise chanson. L’art de la chanson est un moyen d’expression aussi exigeant que possible. Pour qu’une chanson soit bonne, il importe que les paroles et la musique se fondent en une seule et même chose. La chanson dispose d’une audience, d’un public, comme aucun art ne peut seulement en rêver. Elle pénètre, grâce à la radio, chez des millions d’auditeurs. L’auditeur, subit passivement la chanson, les mots que son poste lui lance à l’oreille s’imposent à lui. Le monde du rêve se met à fonctionner. Mais le public n’est pas toujours « public » et fait finalement un sort à la chanson.

Aznavour travaille ses chansons. Il est particulièrement sensible à leurs côtés musical et rythmique. Il est passé maître artisan dans l’art d’assembler les mots en leur donnant un sens humain, dramatique, sans tomber jamais dans la banalité.

Tu glisses tes doigts par ma chemise entrouverte 
Et poses sur ma peau la paume de ta main… 

On subit les chansons d’Aznavour; leur réalité absorbe l’auditeur. Il entre dans leur univers, car leur univers est VRAI. C’est sans doute la grande force d’Aznavour d’avoir dit la Vérité brutale, directe :

Tous les jours de la semaine
vides et sonnent le creux.
Mais il y a pire que semaine,
Il y a le dimanche prétentieux,
Qui veut  paraître rose
Et joue les généreux,
Le dimanche qui s’impose
Comme un jour bienheureux.
Je hais les dimanches !

Mais ce sont les chansons d’amour d’Aznavour qui sont peut-être les plus fascinantes. Il ne se laisse jamais aller à la facilité, il un regard interrogateur, inquiet de la vie qui va et vient. Il est parti en guerre contre « Amour… toujours et brune… clair de lune ». 

Tu es toute ma vie,
Je ne sais pas pourquoi
Tu n’es pas très jolie,
Mais je t’aime comme ça…

Et lorsqu’il chante « Je veux te dire adieu », la confrontation du couple déchiré :

Puisque d’autres mains,
Sur ton corps impudique,
Sont venues prendre place
Où mes doigts ont couru
Et puisqu’un autre cœur
Donne au tien la réplique
Et que tes joies se fondent
Aux joies d’un inconnu…
Je veux te dire adieu…

Aznavour écrit maintenant la musique de ses chansons.  « Sur ma vie » en est un des meilleurs exemples. Cette musique se lie intimement aux mots, prolonge leur univers sonore, le poétise. Elle s’efface, renaît, selon l’intensité dramatique des mots.

Une chanson est construite de mots et de sons. Paroles et musique sont indissolublement liées. Que les unes soient négligées par rapport à l’autre, l’équilibre est rompu, la chanson perd sa valeur, son pouvoir émotionnel.

Charles Aznavour dit « Je chante comme tout le monde », ce n’est pas vrai, il chante « à l’arraché », avec son âme; il écrit avec un sens extraordinaire du merveilleux, de l’insolite, du fantastique et de l’irréel.

Le Palais de nos chimères,
Nous l’avions bâti sur l’horizon
Et nous parcourions la terre,
Elle et moi, comme deux vagabonds…

Les thèmes d’Aznavour : l’amour, le destin, la femme, l’action, les images clefs… Il a trouvé le contact, beaucoup moins par le sujet que par le style, beaucoup plus par le plan humain que par le plan d’illusions.

Aznavour dépeint la souffrance sans romantisme, avec des trouées d’espoir. Les personnages de ses chansons sont aussi vrais que ceux des livres. Ses chansons sont le reflet exact de notre époque. Il écrit ce qu’il pense et chante l’histoire de tous les jours, éternellement renouvelée. Ne rejoint-il pas Ronsard par exemple, lorsqu’il chante la fuite du temps ?

Lors, si vous m’en croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne,
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse,
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Ronsard.
« Ode à Cassandre »

Lorsque l’on tient entre ses mains
Cette richesse,
Avoir vingt ans, des lendemains
Pleins de promesses ;
Quand l’amour sur nous se penche,
Pour nous offrir ses nuits blanches.
Lorsque l’on voit loin devant soi
Rire la vie,
Brodée d’espoir, riche de joies
Et de folie,
Il faut boire avec ivresse
Sa jeunesse…

Charles Aznavour
«
Sa Jeunesse »

Ariane Segal. « La Cité. » Paris, 1957.

Le regret de Verlaine

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verlaine

En apprenant qu’un poète de ses amis épousait une femme de lettres, Verlaine ne put dissimuler son amertume et il l’épancha en paroles amères envers les deux conjoints qui étaient, l’un et l’autre, ses amis.

Ça a l’air de t’embêter rudement, ce mariage, lui dit un camarade. Est-ce que, par hasard, la mariée, jadis…

Oh ! non, répondit Verlaine, seulement comme je déjeunais une fois par semaine chez lui et une fois par semaine chez elle … je pense que, maintenant qu’ils sont unis, ça va me faire perdre un repas.

« Chantecler. »  Hanoï, 1932.

L’anglais tel que le parlait Verlaine

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verlaine

On sait que ce pauvre « Lillian » selon son nom poétique, ne connut jamais la fortune. Il connut même la pauvreté ; et pour lui, c’était presque de la richesse de n’être que dans la gêne.

Un jour, le pauvre garçon avait cependant voulu entrer dans la vie régulière. Il s’était présenté dans une maison d’éducation pour y chercher un emploi quel qu’il fût. On lui offrit d’être professeur d’anglais, parce qu’il avait habité quelque temps l’Angleterre. Or il n’en parlait pas mieux pour cela la langue ; car voici comment il s’efforçait de l’apprendre à ses élèves :

Il importe avant tout, leur disait-il, d’apprendre à bien prononcer. Aussi quand j’arriverai dans la classe vous me saluerez ainsi : « Bonjoueur Misteur Veurliéna… »

Cela amusait beaucoup les élèves, mais ne dura pas. On le renvoya à ces chères poésies, et il retomba dans la misère avec sa douce philosophie.

« Touche-à-tout. »  Paris, 1904.

Illustration :  « Paul Verlaine jeune homme » de Gustave Courbet