anecdote

Un petit encouragement…

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anton-rubinsteinDe ses pérégrinations artistiques en Russie, Mlle Nikita a rapporté une jolie anecdote sur les premiers concerts de Rubinstein, anecdote qui a le mérite d’être absolument authentique et confirmée par M. le général Smirnoff à Saint-Pétersbourg, lequel a joué un rôle dans cette historiette.

Antoine (Anton) Rubinstein avait treize ans à peine et étudiait à Nijni Novgorod, où le fils du gouverneur, actuellement M. le général Smirnoff, de quelques années plus âgé que le petit artiste, s’était lié intimement avec lui et le protégeait. Rubinstein était très pauvre et le jeune Smirnoff, pour lui venir en aide, imagina d’organiser un concert. Grâce à l’influence de son père,il obtint la salle de spectacles de la ville moyennant sept roubles argent, qui représentaient les frais d’éclairage, et le concert, dont Rubinstein remplissait tout seul le programme, rapporta un bénéfice net de 4 roubles 75 kopecks.

Ce résultat mirifique invitait naturellement à une nouvelle tentative le futur auteur de Néron. Mais son second concert n’attira qu’un seul amateur qui loua, moyennant 75 kopecks, un fauteuil des premières.

Le petit Rubinstein, pour récompenser ce noble dilettante, se surpassa. Toutes les primeurs de Mendelssohn et de Chopin, alors encore vivants,furent jouées par lui sans provoquer un seul applaudissement. Après deux heures d’une course prodigieuse sur le clavecin, Rubinstein s’arrêta, et s’adressant poliment à son « public », lui demanda humblement si son jeu ne méritait pas un petit encouragement. Le dilettante présent tendit l’oreille d’une façon significative pour saisir les paroles du petit artiste.

Anton Rubinstein constata alors, avec stupéfaction, que son unique auditeur était… sourd comme un pot. Ce singulier dilettante, fonctionnaire en retraite, fréquentait les concerts pour masquer son infirmité !

« Le Ménestrel. » Paris, 1894.
Peinture : Ilia Répine.

Intraitable

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HaendelA propos de la troisième journée du festival de Hændel, le chroniqueur de l’International raconte l’anecdote suivante, qui prouve le caractère irascible et emporté de ce grand compositeur :

Un jour la signora Cuzzoni, cantatrice en renom, fort jolie, mais capricieuse, exigeante et pétrie d’amour-propre, comme il n’y en a plus de notre temps, s’avise de trouver mauvais un air d’Othon : Faisa  immagine, écrit pour elle. Le maître lui demande doucement qu’elle est cette fantaisie. Il reprend l’air, le déchiffre au piano, et lui prouve, avec beaucoup de calme, que le morceau est tout à fait dans sa voix. 

 J’ai dit que je ne veux pas le chanter, et je ne le chanterai point.

Voilà la seule réponse qu’il put tirer de l’actrice. Ceci se passait au troisième étage d’une villa charmante, habitée par la Cuzzoni. Il faisait chaud, la croisée toute grande ouverte donnait sur un précipice.

Hændel  était d’une force herculéenne et d’une vivacité extrême. II se leva tout à coup, saisit la dame, et la tenant à bras tendu au-dessus de l’abîme : 

 Chanteras-tu mon air ? lui dit-il, d’une voix suffoquée.
— Miséricorde ! Au secours ! au secours !
— Chanteras-tu ? chanteras-tu ?
— Je chanterai tout ce que vous voudrez, votre air est charmant… Mais ayez pitié de moi, ne me tuez pas, mon bon monsieur Hændel ! 

A dater de ce moment, la signora Cuzzoni n’eut plus de caprices. Comment résister à un homme qui avait de tels moyens de persuasion ?

Une autre fois, le docteur Morell, poète d’opéra, fait remarquer à l’illustre maestro qu’un passage de sa musique ne rend pas tout le sens des paroles. Hændel, outré de colère, s’écrie en jurant : 

 Voulez-vous m’apprendre mon métier, satané cuistre que vous êtes ? Je vous dis que ma musique est bonne, elle est excellente. Ce sont vos paroles qui ne valent pas le diable ! 

Puis, se mettant au clavecin et frappant de toutes ses forces : 

— La voilà, ma musique, qu’avez-vous à lui reprocher? Vous le voyez, elle est parfaite ! Allez-vous en refaire votre morceau, ce sont vos paroles qui ne rendent pas bien le sens de ma musique. 

« La Semaine musicale. » Paris, 1865.
Peinture : Balthasar Denner.

Les œufs de Pâques

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oeufs-pâques.Le luxe s’est étendu et il en coûte cher aujourd’hui d’offrir une marque d’attention dans un œuf de Pâques. Décidément le bon vieux temps est loin de nous, et il est curieux de voir comme l’on détourne facilement les intentions de leur source et de leur but. 

Qu’étais-ce que les œufs de Pâques, dans l’origine ? Rien de plus simple à expliquer : au temps où l’on observait le carême avec plus de rigueur qu’aujourd’hui, alors que l’usage du beurre et surtout des œufs était rigoureusement proscrit pendant les quarante jours, on saluait avec plus d’enthousiasme la venue de Pâques.

Les vieilles chroniques nous renseignent sur ce qui se passait alors. Le Vendredi Saint arrivé, est-il dit, les écoliers et les clercs des églises s’assemblaient sur la place publique, au bruit des tambours, au son des trompettes, au tintement des clochettes. Les uns portaient des étendards sur lesquels étaient peints des œufs, les autres tenaient en mains des lances et des bâtons. Quand ils étaient réunis ils se rendaient en masse à la porte des églises, et, là, ils faisaient bénir, des œufs teints en couleurs diverses, puis ils se rendaient dans la ville pour faire don de ces œufs à leurs parents et à leurs amis. Le saint jour de  Pâques arrivé, on cassait les œufs et l’on en faisait une salade que l’on mangeait en famille avec grande liesse. 

Aujourd’hui, on distribue encore aux amis des œufs de Pâques, mais ces œufs ne sont plus ceux des poules. Tout augmente et tout change dans la vie. Les œufs ont subi le sort commun : ils sont devenus des objets de luxe, des boîtes à surprises, et quelles surprises !

Ce sont de puissants personnages qui ont établi l’usage funeste des œufs autres que les œufs de poules. A partir du XIIe siècle, la distribution des œufs de luxe devint à la cour de France une affaire de mode. 

Après la messe de Pâques, on présentait au roi une corbeille remplie d’œufs qu’il distribuait aux seigneurs de sa maison selon la richesse de l’œuf, on se trouvait en plus ou moins grande faveur.

Henri II offrit en cadeau de Pâques, à Diane de Poitiers, un collier magnifique dans deux coquilles de la nacre la plus pure. La chose parut si galante et si jolie que son succès fut immense. Les courtisans s’empressèrent d’imiter le maître et les œufs de Pâques de genre semblable, d’une valeur souvent excessive, s’offrirent tour à tour à la reine et aux dames de la cour. 

Quand Mlle de Vallière se fut retirée du monde, le grand roi lui fit parvenir, dans un œuf de Pâques, un morceau de la vraie croix !!!

Sous Louis XV, le luxe atteignit les dernières limites du raffinement. On en a la preuve  par les spécimens si jolis et si gracieux qui restent de cette époque. On fit ce que l’on n’avait pas encore tenté jusque là. Watteau et Lancret reçurent mission de peindre et dorer de délicieux motifs et de ravissantes scènes, sur de simples coquilles d’œufs de poule. C’est d’un de ces œufs que le chevalier de Boufflers disait : « Si on le mange à la coque, je retiens la coquille. » Mais ce luxe fut encore dépassé quelques années plus tard. Sous la Révolution on continua, entre amis, à s’offrir des œufs de Pâques, mais ces cadeaux représentaient, hélas ! les scènes lugubres que l’on avait journellement sous les yeux. 

Arrivons à une époque récente pour dire que dans certains œufs de Pâques se trouve la marque de ce luxe ruineux, qu’on ne saurait trop condamner : certains détails prouveraient  ce qu’on y découvre de scandaleux, ce que peuvent le désordre et la folie. 

Mais arrêtons-nous plutôt à ce que peut offrir d’agréable et de bon l’emploi que d’aucun savent faire de nos jours, des œufs de Pâques. Il y a réjouissance pour le cœur, à lire certaines anecdotes qui rappellent de quelle aimable et charitable façon ils ont été et sont encore  quelquefois présentés ou distribués. 

On raconte que Lamartine, contemplant un jour, aux approches de Pâques, avec un de ses amis, les étalages des confiseurs et des joailliers, ne pouvait s’empêcher de songer aux tristesses des pauvres enfants, qu’il voyait là, demandant un petit sou, et s’arrêtant devant ces étalages superbes, sans pouvoir se promettre le plus modeste de ces œufs exposés. Par un de ces élans qu’on explique, Lamartine entre dans le magasin et témoigne de sa prodigieuse libéralité : il jette quelques pièces d’or sur le comptoir, prend une corbeille d’œufs de Pâques et la distribue lui-même à tous les enfants que l’excès de joie rendait muets, et comme son ami semblait  lui reprocher cette prodigalité : 

Que Dieu me pardonne, dit-il, ainsi qu’à ma mère, qui m’a toujours appris que faire des heureux était la plus douce des jouissances !

Une autre anecdote, plus récente encore : c’était en 1865 : la supérieure d’un établissement d’orphelines, préoccupée de la situation pénible due à de tristes événements qu’elle n’avait pu conjurer, cherchait par tous les moyens possibles à remonter sa maison. Un jour elle reçut un œuf en sucre gros comme un œuf d’autruche, accompagné de ce simple billet : « Pour vos chères orphelines. » Aussitôt, la bonne mère de réunir ses petites filles pour casser l’œuf devant elles. O surprise de l’œuf en morceaux s’échappent quantité de minces billets dont la totalité forme une somme importante. 

L’auteur de cet inoubliable bienfait avait un nom : Georges de La Rochefoucauld, dont la mort a laissé d’unanimes regrets. 

On comprend de tels cadeaux, comme aussi on ne peut que tolérer ces petits souvenirs affectueux qu’on s’offre entre amis. Il y a mille manières de s’y prendre pour être agréable. Les œufs de Pâques sont les occasions pour une foule de surprises plus ou moins réjouissantes. Comme le 1er Avril, jour des attrapes, se présente presque à la même époque, il arrive que l’œuf contient seulement quelquefois un petit poisson ou un petit rien-du-tout

« Le Messager de l’Ouest. » Bel-Abbès, 1894.

Moralité et anecdote

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coupleDe la boue, de la pluie, et des brouillards, voilà ce que nous avons eu pendant cette semaine. Les cochers de fiacre sont dans les joies du paradis. A propos du brouillard, voici une anecdote : 

Un mari qui donne de loin en loin des coups de canif au contrat, avait une femme qui lui rendait la monnaie de sa pièce , il avait une maîtresse, elle avait un amant. Ils se trouvaient heureux, et le monde n’avaient rien à redire à ce bonheur. 

Seulement, Monsieur ignorait que Madame avait un amant, et Madame, que Monsieur avait une maîtresse. Cette ignorance rendait douce leur vie, il est si agréable de tromper sans être trompé soi-même. 

Mardi soir Monsieur sortit pour se rendre à un rendez-vous, et à peine avait-il quitté le foyer conjugal, que Madame, s’enveloppant dans un châle, sortait exactement pour le même motif. II faisait un brouillard, tel qu’il eut été très difficile de trouver une pièce de vingt-cinq centimes dans sa poche. 

Le rendez-vous de Monsieur était à huit heures, près de la statue de Louis XIV. Celui de Madame au même lieu et à la même heure. Monsieur, enveloppé dans son manteau, se promenait avec cette allure mélancolique, à pas calme et mesuré qui distingue l’homme en bonne fortune. Tout à coup il aperçoit à travers le rideau épais des brouillards, une femme trottant, l’air inquiet. Il s’approche d’elle, lui prend le bras, et ils partent ensemble. 

C’est toi ?
— Oui. 

Monsieur traverse la rue Saint-Dominique, la rue Centrale et il arrive sur la place de l’Opéra, où Rigolet trône en roi. On entre dans le sanctuaire mystérieux d’un petit salon. Le souper était prêt. 

Monsieur se débarrasse de son manteau, la jeune femme de son voile. 

Ils poussent en même temps un cri d’étonnement. 

Le mari et la femme venaient de se reconnaître. 

Mais comme la vanité est au fond de tous les sentiments, Monsieur et Madame n’eurent aucun soupçon sur leur infidélité réciproque. 

Elle m’espionnait, dit le mari.
— Il me trompait, dit la femme. 

Bref, cette aventure donna du stimulant à l’amour engourdi des deux époux. Monsieur a quitté sa maîtresse, Madame. a rompu avec son amant, ils s’aiment comme aux premiers jours de leur jeunesse, ils s’adorent. 

Les brouillards peuvent donc être utiles à quelque chose. 

Est-ce donc cela que nous avons voulu prouver par notre anecdote ? 

Les anecdotes n’ont pas besoin de morale, amuser est leur seul but. 

« L’Argus et le Vert-vert réunis. » Lyon, 1852.

Confiant

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dom-boscoM. Cornély raconte une anecdote intéressante sur l’illustre dom Bosco. 

Un jour, dom Bosco prêcha une retraite dans une prison. Il y avait là trois cents misérables que la société gardait à grand renfort de gendarmes et de geôliers, de murs de pierre et de barres de fer. Il les confessa tous. Il n’y avait pas moyen de lui résister. Il leur passait les bras autour du cou et il les embrassait. 

Quand la retraite fut finie, il écrivit à Rattazzi, président du Conseil des ministres d’Italie, pour lui demander de vouloir bien leur accorder, en récompense, un jour de congé.  Rattazzi écrivit au bas de la lettre : « Accordé. » Vous voyez d’ici la tête du directeur de la
prison. 

 Il n’en reviendra pas un seul, dit ce fonctionnaire.
— Ils reviendront tous, répondit Bosco; je m’en charge. 

Et, un beau matin, au milieu de Turin terrifié, les trois cents prisonniers sortirent sous sa conduite. Il les mena dans un parc qu’on lui avait prêté, les baigna pendant tout un jour dans l’air pur de la liberté, et, le soir, les ramena jusqu’au dernier sous les verrous. 

Et il y a des gens qui s’étonnent de voir des dompteurs de bêtes féroces ! 

« La Croix. » Paris, 1888.

Vindication

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j-whistlerMme J. Comyns Carr, dans son livre de Souvenirs, raconte cette anecdote sur le grand peintre James Mac Neil Whistler.

A un moment de sa vie, il vivait dans une pension de famille dont la propriétaire avait un caractère aussi versatile que le sien. Un jour, on l’entendit dire :

— J’en ai assez, assez, assez de faire cuire des poissons pour M. Whistler !

« Jimmy » fut furieux et il prit sa revanche de la façon suivante. Sous sa fenêtre, à l’étage inférieur, il y avait un balcon où souvent on mettait un bocal contenant un poisson rouge que la propriétaire aimait beaucoup. Whistler confectionna une canne à pêche et parvint à pêcher le poisson rouge. Il le fit frire sur le feu de sa chambre, puis l’envoya à la dame avec une note d’une grande politesse où il disait :

Madame, j’ai appris que vous en aviez assez de faire cuire des poissons pour moi; j’ai pris la liberté de faire cuire celui-ci à votre intention.

La dame au poison rouge entra dans une colère noire. Mais Whistler s’amusa au moins huit jours de cette farce de rapin.

« Comoedia. » Paris, 1926.
Illustration : James Mac Neil Whistler (autoportrait).