Tuileries

Les hydres du ministère

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fonctionnaire

En 1848, dans les premiers temps de son séjour à Paris, celui qui fut plus tard Napoléon III, habitait la rue du Mont-Thabor.

De ses fenêtres, il plongeait sur les bureaux du ministère des Finances. Il était surtout frappé de la régularité avec laquelle les employés roulaient des cigarettes, les allumaient et lisaient leur journal.

Devenu empereur, le prince se rappela son observation et manda aux Tuileries un haut fonctionnaire auquel il dit :

Voilà ce que j’ai vu jadis, et je parie que cela se passe encore ainsi. Faites une enquête, et vous constaterez que ces flâneries résultent du trop grand nombre d’employés.

Cinq jours après, 190 bureaucrates étaient remerciés.

Six jours après, des mêmes fenêtres de la rue du Mont-Thabor, le haut fonctionnaire constatait que l’on y roulait autant de cigarettes et qu’on lisait un peu plus de journaux.

« Figaro. » Paris1878

Oeil pour oeil

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claude-monet

Claude Monet est, en ce moment, à l’honneur dans le charmant pavillon de l’Orangerie, près des Tuileries. Cent vingt toiles, d’inégale valeur, mais dont beaucoup sont des chefs-d’œuvre, attestent le multiple génie du maître impressionniste. Un de nos amis, qui les admirait avec nous, nous rappelait cette petite anecdote peu connue .sur Claude  Monet.  

Un jour, le grand peintre téléphona de Giverny à Vernon, où le docteur Pozzi était en villégiature. 

—  Venez vite, disait sa voix angoissée. il y a un malade à la maison !… 

Le docteur Pozzi part en hâte pour Giverny et, sitôt arrivé, Claude Monet lui présente un petit fox qu’il affectionnait et qui, en effet, souffrait d’une forte indigestion. 

Le docteur Pozzi, un peu vexé d’être confondu avec un vétérinaire, rédigea néanmoins une ordonnance et fit en sorte que, quelques jours plus tard, Black  (ainsi se nommait le fox) était complètement remis sur pattes. 

A quelque temps de là, Claude Monet reçut ce mot :

« Mon cher maître, venez le plus tôt que vous pourrez à Vernon. j’ai un petit service à vous demander. 
Signé ; Pozzi. » 

Claude Monet s’empressa à son tour,et quand il fut dans la propriété du célèbre praticien, celui-ci le fit monter à son grenier et là, lui désignant la porte : 

Voyez, comme cette porte est sale, lui dit-il. Vous seriez tout à fait gentil, mon cher maître, si vous vouliez bien lui donner deux ou trois coups de pinceau !

« Paris-soir. » Paris, 1931.
Illustration Claude Monet, autoportrait.

Le ballet des abeilles

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ballet-des-abeilles

Les journaux de Paris ont beaucoup parlé d’un bal donné dernièrement aux Tuileries pour lequel les dames de la cour avaient imaginé un ballet dansé par douze charmantes jeunes femmes, costumées en abeilles.

Quatre grandes ruches ont été apportées dans la salle des maréchaux par des jardiniers, et à un signal de l’orchestre,on a vu sortir de chacune d’elles trois jolies abeilles ailées, tenant à la main une guirlandes de violettes et formant ensemble des figures gracieuses. En souvenir de ce quadrille d’un nouveau genre, M. Hamet, professeur d’apiculture au Luxembourg, a adressé à chacune des personnes qui y ont pris part un joli pot-ruche plein d’excellent miel, accompagné de la lettre suivante :

« Madame,
Voué depuis très  longtemps aux soins des abeilles, il m’a été bien doux de voir mes chères travailleuses représentées d’une manière si brillante par les plus belles reine de la grâce et de la distinction. Puisque vous avez bien voulu vous transformer en abeille, permettez-moi de vous offrir un peu de miel au nom de celles dont vous avez été un instant la soeur. Les abeilles étant filles du ciel et figurant sur le manteau impérial ont des droits à votre indulgence, même à votre bonté.
Je suis, Madame, etc. »

Ces nobles dames ont répondu à M. Hamet :

« Les abeilles du quadrille des Tuileries ont été très sensibles à votre gracieuse attention : elles ont vivement apprécié les produits de leurs sieurs du Luxembourg, ainsi que la courtoisie de l’interprète, et se réunissent pour vous offrir leurs remerciements ainsi que l’expression de leur parfait considération. »

« Le conteur Vaudois. » 1863.

Les honnêtes patriotes

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cremieux

Il s’agissait de faire déguerpir des Tuileries les patriotes qui s’y étaient installés après le départ de Louis-Philippe.

M. Adolphe Crémieux, chargé de la commission par ses confrères du provisoire, n’eut pas tout à fait autant peur qu’on voulut bien le dire. Les armes des démocrates en guenilles l’effrayèrent bien un peu, et il eut l’air de leur donner satisfaction. Mais il avait son plan !

— Vive Crémieux! vive Crémieux! hurla cette bande atroce, entourant l’avocat et voulant le porter en triomphe.
— Un instant, citoyens… pardon! Je suis très pressé, et je vais de ce pas au parquet, afin d’y prendre les dossiers de tous les voleurs et de tous les escrocs qui auraient pu se glisser parmi vous. Certes, on ne les laissera pas au milieu de tant d’honnêtes patriotes!

Il s’en alla. Quand il revint au château, deux heures après, il n’y avait plus personne.

« L’Argus et le Vert-vert réunis. » Lyon, 1857.

Singulier condamné à mort

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tribunal-revolutionLe Tribunal Révolutionnaire condamna, le dimanche 17 novembre 1793, un chien à la peine de mort. Un chien !

Ce jour-là, un ancien recruteur du nom de Saint-Prix prenait place sur les gradins. Peu de monde dans la salle. La fournée était médiocre. On se réservait pour de plus beaux feux de file. Ce Saint-Prix était accusé de propos contre-révolutionnaires. Une de ses voisines s’était informée s’il allait monter sa garde, ce à quoi il avait répondu :

Je ne suis pas fait pour monter la garde avec des gueux et des scélérats.

Et il avait ajouté avec un soupir de regret :

J’aime mieux l’ancien régime que le nouveau.

Ce délit le menait devant des juges impitoyables, qui frappaient sans appel. Ils avaient condamné des accusés coupables de moindres forfaits. La sentence à l’égard de Saint-Prix fut celle qu’on attendait, mais cette sentence frappait en même temps le chien du recruteur. Cette bête avait été dressée à signaler les inconnus s’approchant du logis de son maître. Un jour, un porteur d’un ordre de garde pour Saint-Prix fut harponné au mollet par la bête vigilante. Ce témoignage la condamna, et le lendemain, lundi, 18 novembre, le jugement était mis à exécution. Les Archives nationales ont conservé les pièces de ce singulier procès et c’est d’après elles que nous allons reconstituer son épilogue.

Une lettre jointe au procès-verbal en informait Fouquier-Tinville, le jour même.



lettre-comite-revolution


Vers midi, le commissaire du comité de surveillance des Tuileries, nommé Claude-Charles George, était parti avec l’inspecteur de police Pierre-Louis Hostaux, vers une maison nommée Le Combat du Taureau, qui, quoique le procès-verbal soit muet à cet égard, était vraisemblablement un cabaret ou une hôtellerie, car il est dit que cette maison est tenue par le citoyen Maclart. A l’arrivée des deux hommes, le citoyen Maclart se trouvant absent, sa femme reçoit les visiteurs. Solennellement, ils exhibent à la femme étonnée l’ordre du Tribunal Révolutionnaire qui ordonne l’exécution du chien. On la somme, au nom de la loi, de présenter la bête, formalité à laquelle elle se soumet sans répliquer. Elle va dans la cour de la maison, détache la bête de la niche où elle dormait, et l’amène devant le commissaire et l’inspecteur.

A ce moment un grave débat surgit entre les personnages. Lequel des deux assommera la bête ? Sera-ce Pierre-Louis Hostaux ou Claude-Charles George ? L’un et l’autre s’y refusent, et la citoyenne Maclart ne peut décidément accomplir, elle, ce à quoi se refusent les deux hommes. Sans doute, pour mettre fin à la discussion, leur propose-t-elle un moyen terme. A quelques pas de là, au Combat, se trouve un poste de gardes nationaux. Là, on pourrait requérir un homme qui exécuterait le jugement. L’ingénieuse proposition de la citoyenne Maclart est adoptée, et George, son ordre du Tribunal Révolutionnaire toujours à la main, court au poste.

Pendant ce temps, la bête jappe, saute, gambade. Bientôt le commissaire de la section des Tuileries revient, accompagné du citoyen Bonneau, sergent de la section des Arcis, de garde au poste. On peut malaisément croire que le sergent ait accepté la proposition de George. Sans doute celui-ci l’a-t-il simplement requis comme témoin. Quoi qu’il en soit, il accompagne le commissaire, et devant la citoyenne Maclart et en présence du sergent, le chien de Saint-Prix est abattu à coups de bâton.

Et, gravement, les quatre assistants signent le procès-verbal de cette exécution. La femme Maclart se charge sans doute de l’inhumation du cadavre. Le sergent regagne son poste, les deux envoyés de la section des Tuileries, leur comité. Justice est faite.

Hector Fleischmann. »Anecdotes secrètes de la Terreur. » Paris, 1908.

La naissance d’Henri V

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Naissance-duc-de-bordeaux

Un érudit, M. Albert Malet, agrégé d’histoire, a découvert à la Bibliothèque nationale une copie des Mémoires inédits de la duchesse de Gontaut-Biron.

Née en 1773, elle mourut seulement en 1855. Sous la Restauration, elle devint gouvernante des Enfants de France, et comme telle elle dut assister officiellement à la naissance du duc de Bordeaux. Ici nous laissons la parole à M. Albert Malet, qui nous donne, d’après les Mémoires en question, la bien curieuse anecdote qui suit :

Mme de Gontaut, qui habitait aux Tuileries comme gouvernante de Mademoiselle, venait de se coucher, quand l’on frappa violemment à sa porte :

Venez vite, vite ! lui crie-t-on, Madame accouche ! Dépêchez-vous ! 

Prête à se lever au premier signal, elle prend à peine le temps de passer un peignoir et se précipite dans la chambre de la duchesse. Celle-ci la salue de ce cri :

C’est Henri !

Et les deux femmes s’embrassent éperdument.

Vite des témoins ! ajoute Madame…

Le duc d’Orléans arrivait. Avant d’aller présenter ses félicitations à l’accouchée, il entra dans le salon où l’on avait porté l’enfant. Il le regarda attentivement. Puis, marchant au duc d’Albuféra :

Monsieur le maréchal, lui dit-il, je vous somme de déclarer ce que vous avez vu. Cet enfant est-il réellement le fils de la duchesse de Berry ? 

Mme de Gontaut ne put réprimer un vif mouvement d’impatience.

Dites, Monsieur le maréchal, dites tout ce que vous avez vu. 

Le maréchal attesta énergiquement la légitimité de l’enfant.

Je le jure sur mon honneur ! ajouta-t-il. Je suis plus sûr que monseigneur le duc de Bordeaux, ici présent, est l’enfant de Mme la duchesse de Berry, que je ne le suis que mon fils soit l’enfant de sa mère.

Il y eut un long silence, puis le duc d’Orléans salua et sortit. 

« Gazette littéraire, artistique et bibliographique. »  Paris, 1891.