trépas

Le testament

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albert-ankerSamuel Giorgi était un enfant trouvé, un de ces nombreux enfants abandonnés, que l’on ramasse pour les déposer dans un hospice.

A une époque que nous ne pouvons préciser exactement, il fut transporté à l’hospice de Foggia, la ville des jardins et des fontaines. Là, un employé à soixante francs par mois, vieux, myope et ennuyé, le dota d’un nom, d’un prénom et d’un numéro. Puis nous ignorons totalement ce qui lui arriva, nous ne sommes pas en droit de connaître comment il traversa toutes les vicissitudes de la vie.

L’enfant trouvé de Foggia, favorisé par une heureuse destinée, réussit à conquérir sa place dans le monde, il amassa une immense fortune et se créa une famille. 

A Legnano, où il demeurait, il passa la meilleure partie de sa vie, et comme il n’avait jamais fait de dette, il ne voulut pas en laisser après sa mort. Lorsque vint pour lui l’heure du trépas, il pensa qu’il devait acquitter l’unique dette qu’il avait sur la conscience. Dette non commune, de nature tout à fait exceptionnelle, dette de gratitude. 

Il est évident de Giorgi ne prit pas le temps d’aller quérir un notaire. Il se contenta d’écrire ses dernières volontés sur une simple feuille de papier à lettres, léguant une grande part de sa fortune au profit de l’hospice de Foggia, l’institut où il trouva : berceau, refuge et vie. 

Quand la mort le prit, il partit heureux d’avoir payé l’unique dette qu’on aurait pu lui reprocher. 

Pour sa propre satisfaction, il parut oublier sa nombreuse famille, mais cette dernière découvrit la lettre dans les vêtements que Samuel portait encore à l’heure de sa mort, et pensa qu’il serait utile de détruire le document dictant ses dernières volontés. Une vieille, la belle-mère du défunt, proposa à tous les parents réunis et qui prirent connaissance de la lettre fatale, de la faire disparaître afin de pouvoir diviser entre eux la fortune de Giorgi. 

Se groupant tous dans la chambre même où se trouvait le cadavre, les parents se promirent réciproquement le secret. Dans la nuit, ils allumèrent les cierges, et, en présence du mort, firent le partage du riche testament. Selon le degré de parenté, chacun eut sa part et jura de nouveau le secret. 

Le lendemain matin, Samuel, cloué dans son cercueil, prit le chemin du cimetière accompagné par les pleurs et les regrets de tous ceux qui, quelques heures auparavant se partageaient sa fortune. Mais, quand les parents voulurent entrer en possession de leur richesse, le mort, Samuel lui-même, l’enfant trouvé, eut une idée tout à fait géniale. 

Dans le calme d’une nuit de décembre, il prit son apparence humaine, remit les habits qu’il avait lors de la cérémonie funèbre et dont ses pieux parents le revêtirent pour la dernière fois et alla rendre visite à deux de ses belles-sœurs qui avaient participé au partage de ses biens. Les deux sœurs furent réveillées en sursaut et eurent la terrifiante surprise de se trouver en présence de Samuel Giorgi. Au dire des deux dames, le fantôme leur fit d’amers reproches et des malédictions de toutes sortes. 

Dès que l’apparition s’évanouit, les deux sœœurs dénoncèrent, sous l’anonymat, la lettre détruite et le complot. L’autorité judiciaire procéda à une enquête autant à Legnano qu’à Foggia et le résultat ne fut pas ébruité. On apprit, toutefois, que l’hospice de Foggia entra en possession de son héritage et que de nombreuses arrestations furent opérées.

« L’Astrosophie. » Traduit du « Monda Occulta », Naples, numéro de Janvier-Février 1931. 
Peinture: Albert Anker.

Le sanglier du mardi gras

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Rosa-Bonheur

Jadis, au pays du Morvan, existait un curieux usage. Le mardi gras, les chasseurs de cette contrée giboyeuse avaient l’habitude de festoyer d’un jeune sanglier, énergiquement accommodé en l’honneur du carnaval. Mais, avant de réduire la « bête noire » en jambon, en boudins, en côtelettes et de servir triomphalement la hure arrosée de vieux bourgogne, il était procédé, en pompe joyeuse, à la plus originale et à la plus pittoresque des processions.

Sur une charrette enguirlandée de verdure que traînait un âne orné de grelots et de rubans, on disposait le cadavre du sanglier dans l’aimable posture d’un personnage qui est à table. On avait d’abord lavé les soies, débarbouillé le groin et poli les défenses. Au cou du sanglier pendait une large serviette blanche. A ses pattes de devant, allongées comme des bras, étaient fixés une fourchette et un verre. Une couronne en feuillage épineux de houx (symbole de l’humeur grincheuse du « prince des forêts ») entourait son front farouche.

Dans cet accoutrement carnavalesque, on promenait la bête noire à travers le village, aux sons des fifres et des cornemuses. Des masques dansants égayaient le cortège. Et, de porte en porte, la charrette, que l’âne traînait fièrement en faisant sonner ses grelots, recevait l’offrande gastronomique des habitants : du beurre, du vin, des miches, des œufs, du lard, du jambon. Le soir, sur la place publique, à la lueur des torches, on vidait la charrette de tous les dons culinaires qui étaient distribués aux pauvres du pays.

Après ce charitable et joyeux pèlerinage, on s’occupait soigneusement du sanglier, qu’on préparait avec art pour le banquet des chasseurs, auquel, selon la traditionnelle courtoisie de nos pères, les dames assistaient : la hure à la plus belle, le jambon au plus vaillant.

Pourquoi ce curieux usage ? Peut-être avait-on choisi ce jour de bombance pour célébrer l’heureux trépas du sanglier, ce grand destructeur des récoltes et ce fléau des champs. Quant à la chair indigeste et fade du sanglier ce n’est pas, à vrai dire, un morceau de prince.

Le marquis de Cussy, plus pratique et plus expert que Brillat-Savarin, déclarait qu’elle doit « se repentir » au moins quinze jours dans la plus énergique et la plus aromatisée des marinades. A notre avis, un marcassin d’un an peut, seul, distraire une fourchette curieuse et blasée, et, encore, il serait téméraire d’accommoder son jambon à l’allemande, c’est-à-dire aux cerises noires et aux confitures d’abricot.

Vieilles coutumes, charmants usages, douces légendes, tout cela a disparu à l’horizon des passés sans retour, comme le sanglier lui-même tend, chaque jour, à disparaître. Dans un demi-siècle, peut-être, ce gibier farouche ne sera plus qu’un souvenir gastronomique, exhalant des senteurs imaginaires dans la « Cuisinière bourgeoise ».

« La Revue limousine : revue régionale. » Fulbert-Dumonteil, Limoges, 1927.
Illustration : Rosa Bonheur.