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De ces écrivains qui écrivent

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Ces jours ci, dans une vente d’autographes à la Haye, on a mis aux enchères un fragment manuscrit des mémoires de lord Melbourne, un des premiers ministres de la reine Victoria. Comment ces cahiers avaient-ils échoué là ? Ils contenaient de curieux souvenirs sur le réformateur Thom, qui, en 1838, se présentait comme un second Messie et fut tué à Canterbury par les soldats qu’il avait voulu convertir en leur disant qu’il venait régénérer le monde.

Ces notes étaient écrites sur un singulier papier, veiné de marbrures, dont la contexture enveloppait comme d’un réseau les armes de sa maison, imprimées en or. Chaque feuille présentait les mêmes dessins. C’était une luxueuse fantaisie de grand seigneur.

Les simples écrivains, qui ne peuvent point se permettre un tel papier pour faire leur  « copie », ont souvent, eux aussi, leurs manies, en ce qui concerne l’encre, les plumes, les feuillets dont ils se servent. Il en est qui ne peuvent écrire que sur du papier de couleur, et il faut voir la gravité plaisante avec laquelle ils recommandent à leur papetier (devenu leur confident) la teinte et la configuration des feuilles qu’ils vont remplir.

Les uns, l’habitude venant, ne travaillent à leur aise qu’en voyant sous leurs doigts un papier gigantesque. C’est le cas d’un de nos plus illustres auteurs dramatiques. Le plus délicat, le plus subtil de nos romanciers, au contraire, se sert de feuilles à peine grandes comme des feuilles de carnet de poche.

Au reste, ces manies, ces habitudes de travail, on peut les relever dans tous les temps.

Le manuscrit des Pensées de Pascal porte aux marges une foule de petits dessins, enchevêtrements de lignes brouillées, figures quasi cabalistiques. Les commentateurs ont fait sur ces signes mystérieux des suppositions à perte de vue. Le philosophe Cousin en a parlé avec respect. Or, on sait que le livre de Pascal a été écrit par pièces et par morceaux, sans aucune suite, et que, d’une pensée à l’autre, il y a tout un monde d’idées.

Les signes en question étaient donc tout bonnement, à n’en pas douter, des agaceries inconscientes de la plume, semblables à celles que trace un enfant sur un coin de son cahier, lorsqu’il est arrêté par une difficulté de son devoir. Ils avaient fini par devenir au bout de la plume du grand penseur une habitude invétérée.

La Fontaine, le bon fabuliste, composait ses vers couché tout de son long sur l’herbe d’un pré, le long d’un ruisseau, et n’écrivait (matériellement) qu’avec répugnance.

C’est un souvenir classique que Buffon se mettait en toilette de cérémonie pour travailler : il lui fallait un jabot et des manchettes de dentelle pour qu’il pût parler des moeurs des animaux.

Leibnitz, lui, trouvait les meilleurs arguments de sa dialectique en donnant à manger à des araignées : il ne se mettait à sa table que lorsqu’il avait fait, au préalable, une hécatombe de mouches.

Théophile Gautier était fort exigeant en ce qui regardait ses plumes. Tant qu’il n’en trouvait pas une glissant à son gré, il demeurait agacé. Aussi, avant de se mettre sérieusement au travail, essayait-il la plume en traçant mille dessins. Il lui arrivait même, dans cet le occupation toute matérielle, de jeter sur le papier des vers bizarres, sans y penser. On a recueilli ceux-ci, par exemple :

Un bon coupeur de plume est égal aux dieux même !

Essayons celle-ci, différemment taillée,

Mais elle est vainement avec art travaillée.

M. Alexandre Dumas fils a écrit, un jour, une page charmante sur ce sujet :

« L’écrivain, dit-il, a ses exigences, ses habitudes, ses manies. Il lui faut, pour écrire avec conscience et liberté, avoir arrondi autour de sa table tous les angles de sa vie. Il faut que la chambre où il se met à l’oeuvre soit chauffée d’un travail précédent. »

De fait, ces petites habitudes s’expliquent; elles aident au travail de l’esprit, par l’absence de toute nouveauté matérielle qui puisse suspendre la main et arrêter un instant la pensée.

Il y aurait un curieux chapitre d’étude littéraire à écrire avec l’histoire de toutes ces manies. Parfois, elles ne laissent pas d’éclairer un peu plus le caractère même de l’écrivain.

« La Revue des journaux et des livres. »  Paris, 1887.
Illustration : Orléans, fêtes de Jeanne d’Arc. « L’écrivain et la bouquetière. » Agence Rol, 1912.

Les tocs de Zola

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Il y a, chez bien des personnes, sensées d’ordinaire, une impulsion intérieure, une sorte de force mystérieuse qui les pousse à accomplir des niaiseries, des actes qu’elles réprouvent à la réflexion, dont elles sont mécontentes et même humiliées, et dont elles sont les premières à rire quand on les leur reproche. Elles ne songent même pas à résister à cette force intérieur, qui serait beaucoup plus puissante que leur volonté, tant les actes qu’elle commande leur semblent anodins, et cela devient vite une habitude dont elles ne peuvent plus se débarrasser.

L’acte est, ou superstitieux (et c’est alors le fétichisme), ou absolument sans raison et sans but, et c’est l’excentricité, la manie, que nous appelons de nos jours la loufoquerie.

C’est ainsi qu’Emile Zola, au dire du Dr. L. Porcheron, comptait dans la rue les becs de gaz, les numéros des portes, des fiacres, et les additionnait. S’il ne sortait pas de chez lui du pied gauche, il craignait de ne pas réussir dans une démarche qu’il allait entreprendre. Et, cependant, l’auteur de La Terre avait un cerveau aussi puissant que bien équilibré, et ces petites faiblesses d’esprit étonnent chez un homme de sa valeur.

« Almanach du Petit Parisien. » Paris, 1924. 

Zola superstitieux

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Les esprits forts, ou réputés comme tels, font profession de ne pas croire au merveilleux. Et, par une étrange contradiction, ces gens, qui refusent de s’incliner devant des faits dûment constatés, sont généralement enclins à accorder la plus large créance à de puériles superstitions, à donner une signification à des détails importants pour eux seuls.

C’est ainsi que la fameuse enquête médico-psychologique, entreprise par le Dr. Toulouse sur M. Zola, a donné lieu à quelques observations particulièrement curieuses. Elle nous a initiés à une manie du fécond romancier, laquelle consiste, dès qu’il se trouve seul, à additionner mentalement tous les chiffres qui lui passent devant les yeux. Dans les rues, par exemple, il additionne les chiffres des numéros des maisons, des voitures, etc. Et lorsque le total de l’addition donne 7 ou un multiple de 7, voilà M. Emile Zola ennuyé pour toute la journée.

L’auteur de la Terre à une horreur véhémente du chiffre 7, et cette crainte superstitieuse est telle qu’il n’ose rien entreprendre le 7 du mois, quelle que soit l’urgence.

Or, c’est le 7 du mois de février que M. Zola doit comparaître en cour d’assises.

Mauvais présage !

« L’Écho du merveilleux. » Paris, 1898.