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Souvenirs de classe

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classe-1880Entre dix et quatorze ans, j’ai connu maintes fois l’affreux état d’âme du caissier en défaut, qui redoute un examen de ses livres.

C’était à propos de cet instrument de torture pour le jeune âge que l’on appelle un cahier de textes. On nous dictait des textes que l’on prenait au brouillon et qu’il fallait recopier au net. Depuis la rentrée des classes jusqu’au mois de décembre, le cahier était à peu près à jour. En octobre, il était tout propre : l’inéluctable tache d’encre ne l’avait pas encore marqué, et le coin du bas à droite ne s’enroulait pas encore d’un façon exaspérante.

A chaque classe, la fatale investigation pouvait se produire. Mais on pouvait toujours avoir oublié le cahier à la maison. Le maître disait :

Tâchez de l’apporter la prochaine fois.

Il n’avait pas besoin de grossir sa voix : c’était déjà assez impressionnant. A la longue, on s’apercevait que cet être de perfection était capable d’oubli. Alors on risquait le coup et la prochaine fois on laissait encore le cahier à la maison.

Cette angoisse durait jusqu’au mois de juin. A ce moment le pouvoir se détendait. Le tyran sentait, malgré lui, que ses sujets allaient lui échapper. Son autorité se faisait plus amène. Beaucoup d’élèves quittaient la classe avant la fin des dernières compositions. Il restait les compétiteurs sérieux et aussi d’autres élèves comme moi dont les parents ne prenaient leurs vacances qu’en août.

La classe, à ce moment, n’était plus la classe. La dernière demi-heure était employée à des lectures. Souvent ces lectures n’étaient pas plus amusantes que les leçons, mais comme c’était, en principe, un travail récréatif, on écoutait.

Le changement de gouvernement s’effectuait d’une façon pacifique. L’auréole quittait la tête du maître d’hier pour nimber le maître de demain.

Après la rentrée, on rencontrait parfois l’ancien professeur dans les couloirs. Il était devenu un être humain. Je me rappelle un de ces anciens maîtres qui boitait un peu. Du temps que j’étais sous sa férule, j’avais remarqué cette claudication, mais, à ce moment-là, ce n’était pas une infirmité, ça faisait partie de sa démarche, de son image mythologique.

L’ancien maître vous tendait la main. Bien qu’il fallût fortement lever la tête pour répondre à son sourire, on le regardait d’un peu haut.

On était maintenant d’une classe supérieure à la sienne.

tristanbernardTristan Bernard.

Le promeneur solitaire

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verlaine

Gustave Kahn aimait à rappeler quelques-uns des nombreux souvenirs que lui a laissés sa longue amitié avec  Paul Verlaine.

Il écrivait n’importe où, racontait-il, sur un coin de table, dans la rue. La marche l’inspirait, son rythme faisait naître en lui le poème. C’est ainsi qu’un jour, en se rendant de Saint-Sulpice à certain café des Batignolles où il avait ses habitudes, il composa le petit poème « Automne ». Au Louvre il nota « Les sanglots longs des violons de l’automne » et à la Chaussée d’Antin « Pareil à la feuille morte ».

Il corrigea le tout sur la table du mastroquet.

Souvenirs, souvenirs…

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Emmanuel-Arène

M. Emmanuel Arène, le sénateur qui vient  de faire jouer au théâtre Réjane, la pièce Paris-New York et de se battre en duel avec M. Adolphe Brisson fit ses études de droit à Aix-en-Provence. « Quand j’y faisais mon droit, disait-il un jour, je passais toutes mes journées à Marseille, et c’est peut-être pour cela que je trouvais Aix si agréable ! »

C’est sans doute pourquoi, lorsque la question de rivalité universitaire entre Aix et Marseille vint sur le tapis, il y a quelques années, Emmanuel Arène publia un article favorable à Aix. Il y raconta des souvenirs de jeunesse, et notamment la lutte mémorable entre les deux cafés rivaux : celui des Deux Garçons et le Café Clément, qu’il fréquentait indistinctement, étudiant dans l’un le droit français et dans l’autre le droit romain…

L’article fit sensation à Aix. Mais, quelle ne fut pas la stupeur d’Emmanuel Arène en recevant une lettre du patron du café Clément, lettre très flatteuse mais qui se terminait ainsi :

—  Je ne sais, vraiment, cher monsieur, si je dois profiter de cette aimable circonstance pour vous rappeler un petit arriéré de cinquante-huit francs que j’ai trouvé en regard de votre nom si sympathique, dans le compte de l’année 1873.

 « Ma revue : hebdomadaire pour la famille. » Paris, 1907.

 

Schiller… citoyen français

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Schiller

Un des descendants de Schiller, M. de Gleichen, vient de publier sur lui des souvenirs forts intéressants, au milieu desquels on trouve cette amusante anecdote. 

L’oeuvre de Schiller avait provoqué un tel enthousiasme en France que la Convention lui décerna le titre de citoyen français et donna l’ordre de lui expédier son diplôme civique. Or, l’employé chargé de faire l’expédition était un partisan prématuré de la réforme de l’orthographe, car il écrivit l’adresse comme il prononçait le nom et expédia le diplôme civique au nom de Gillé.

Et le document adressé à ce M. Gillé parcourut vainement toute l’Allemagne; et il eut été sans doute perdu si, par le contenu de la lettre, qu’il fallut bien ouvrir, on n’eût compris qu’il s’agissait de Schiller… à qui elle parvint enfin par les soins de M. Campe, de Hambourg, qui était le traducteur et le disciple de Rousseau.

Schiller, du reste, après avoir pris connaissance du diplôme, écrivait avec une certaine ironie, un peu macabre :

« J’ai reçu, il y a quinze jours, le diplôme ratifié par Roland, il y a déjà cinq ans, égaré depuis à Strasbourg. Ce document m’est parvenu du royaume des morts, car Danton et Clavière l’ont signé. La lettre qui l’accompagnait est signée par Roland; Custine s’en chargea pendant sa première campagne allemande. Aucun d’eux n’existe plus. »

« Le Journal du dimanche : gazette hebdomadaire de la famille. »  Paris, 1905.