Shakespeare

Entre poètes

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lettre-facteurUn jour, vers 1846, il arriva, au bureau principal de la poste, un pli cacheté de cire rouge, venant de l’étranger, avec cette adresse : 

AU PLUS GRAND POÈTE DE LA FRANCE 

On voit d’ici l’embarras du directeur. Le plus grand poète ! qui donc était-ce ? Le fonctionnaire, s’en rapportant aux cent trompettes de la Renommée, envoya la missive chez Béranger. Mais le vieux chansonnier, tressautant sur son fauteuil, rendit le pli en disant :

 Portez ça, sans retard, chez Victor Hugo, place Royale. 

Victor Hugo, même mouvement, se donna à peine le temps de lire la suscription et s’écria : 

Portez ça, tout de suite, rue de la Ville-l’Evêque, chez Lamartine. 

De son côté, Lamartine, repoussant le paquet, donna l’ordre de le porter chez l’auteur d’Hernani. Bref, l’envoi paraissait brûler les doigts de ceux qui le touchaient et personne n’en voulait. Pourtant, Lamartine eut une idée et déclara : 

Le plus grand poète de France, c’est peut-être celui de l’avenir, le poète de demain. 

Au fait, qui pourrait dire s’il n’y a pas, en ce moment, un Homère, un Virgile, un Dante ou un Shakespeare, suspendu au sein de sa nourrice, en Bretagne ou à Gonesse… 

Philibert Audebrand. « Les Annales politiques et littéraires. » Paris, 3 décembre 1905.

Enfants de génie

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de-nerval rimbaud
Gérard de Nerval & Arthur Rimbaud

On venait de rééditer, dans la collection des Maîtres du Livre, la traduction que fit Gérard de Nerval de Faust et du Second Faust

Lorsqu’il fit cette traduction, l’auteur d’Aurélia, l’admirable précurseur de nos plus subtils poètes contemporains, était à peine âgé de dix-sept ans. Goethe, au déclin de sa vie, lui exprima, en une lettre, sa reconnaissante admiration. Quel écrivain put jamais se vanter de débuter sous de pareils auspices ? 

Il y eut pourtant un enfant de génie qui eut la fortune d’être sacré poète par un poète de génie. 

C’était l’adolescent Arthur Rimbaud, l’antéchrist de Charleville, ce « mortel, ange et démon », à qui Mme Paul Verlaine, après quarante-cinq ans, n’a pas encore pardonné la destruction de son foyer bourgeois. Rimbaud avait alors seize ans. Il venait d’écrire Bateau Ivre, pour « montrer à ceux de Paris », comme il le confiait à son condisciple Delahaye. 

Théodore de Banville conduisit Rimbaud chez Victor Hugo, instruit déjà de l’étonnante précocité du vagabond providentiel. Lorsqu’il le vit, il sourit, d’un sourire qui n’était pas encore celui de l’Art d’être Grand-Père, étendit sa main de César vers l’hôte nullement intimidé, lui pinça l’oreille, au grand déplaisir du sublime gamin, et laissa tomber ces mots : 

Shakespeare enfant ! 

Arthur Rimbaud lui éclata de rire au nez. 

« Gil Blas. » Paris, 8 janvier 1914.

Barbes

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landru-chabrolNous sommes menacés, paraît-il, d’un retour de la barbe. C’est une offensive capillaire de grand style : les dames vont laisser repousser leurs cheveux et les messieurs abandonneront la mode des mentons bleus. 

Il y a peu de chance que cette résolution à double détente aboutisse. Nous exécrons les visages pilifères. C’est un fait et rien n’y prévaudra. 

Curieuse désaffectation ! Pierre le Grand imposa aux visages barbus une taxe écrasante. Et seuls les riches arboraient ainsi boucs et barbe assyrienne. 

Au moyen âge, le port de la barbe était signe d’autorité et de richesse. 

Tout récemment une polémique ardente mit aux prises André Gide et André Rouveyre sur ce point délicat : « Hamlet portait-il la barbe ? » 

Un prince, un guerrier aurait rougi  (d’après André Rouveyre) de présenter figure de clergyman. Etre privé de barbe, c’est renoncer à cette marque de force, de virilité. Les vieilles éditions de Shakespeare rapportent cette exclamation du héros d’Elseneur :

« Suis-je un lâche ? Qui veut m’appeler un vilain ? Qui veut me frapper au visage ? Qui veut m’arracher la barbe et me la jeter au visage ? »

Le fait est donc avéré. Hamlet était jeune, neurasthénique et barbu. 

Mais chaque civilisation possède son idéal, son éthique, et le courage affecte, à chaque époque, un visage différent. 

Durant l’affreuse campagne de Russie, Napoléon Ier vit paraître, un matin de gelée polaire, le maréchal Daru rasé de frais, correct et strict. Et l’Empereur ne put s’empêcher de déclarer devant son état-major :

« Voilà l’homme le plus courageux de l’Empire ! » 

Nous continuerons donc à nous raser, virilement, courageusement, comme Daru. 

« La Femme de France. » Paris, 1928.
Photo film : Landru, Claude Chabrol, 1963.

To be or not to be

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ignatius-donnelly (2)

Ignatius Donnelly, qui vient de mourir à Minneapolis, est l’auteur de la théorie célèbre d’après laquelle les drames de Shakespeare seraient l’œuvre de Francis Bacon. 

D’après d’autres chercheurs, le nom de Shakespeare constituerait tout simplement la figure graphique de la prononciation anglaise des deux prénoms français : Jacques-Pierre. Selon cette dernière théorie, le plus grand poète de l’Angleterre descendrait d’un des obscurs compagnons de Guillaume le Conquérant. Ce qui fournit à ce système quelque vraisemblance, c’est que le nom de Robespierre est pareillement formé de deux prénoms : Robert-Pierre, avec l’s qui, placé derrière le premier de ces deux prénoms, représente le génitif anglais, et leur donne la signification de Robert, fils de Pierre. 

Les aïeux de Robespierre auraient, dit-on, d’abord émigré d’Artois ou de Picardie en Angleterre ou en Irlande pour revenir s’établir à Arras. 

« Le Penseur. » Paris, 1901.

Le derrière

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Jason-Town

Un soir qu’un Anglais soupait avec le philosophe de Ferney, la conversation tomba sur Shakespeare.

Voltaire s’étendit sur l’effet inconvenant et absurde que produisaient des caractères bas et des dialogues vulgaires dans la tragédie. Il s’appuya de beaucoup d’exemples pour prouver que le poète anglais avait souvent offensé le goût même dans ses pièces les plus pathétiques.

L’Anglais observa, pour excuser son compatriote, que ces caractères , quoique bas, étaient pourtant dans la nature.

— Avec votre permission, monsieur, répondit Voltaire, personne ne montre son derrière… il est pourtant dans la nature.

Joseph-François-Nicolas Dusaulchoy de Bergemont /Pierre Joseph Charrin. « Les soirées de famille. » Paris, 1817. 

Illustration : Jason Town.

Le mouchoir superflu

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othello

Une bien bonne histoire, racontée par sir Henry Irving.

Jouant un jour Othello dans une petite ville de province, devant un auditoire composé presque excessivement d’ouvriers mineurs, il remarqua qu’à la scène du mouchoir, la salle devenait, chaque fois, excessivement nerveuse.

Lorsque l’acteur demanda au troisième acte le fameux mouchoir de Desdémone, un Irlandais, aux larges épaules, n’y tenant plus, lui cria, du fond de la salle :

« Mouchez-vous donc avec vos doigts et continuez la pièce. »

« Le Monde artiste. » Paris, 1902.