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Le menu d’un explorateur

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Un voyageur, M. Edouard Blanc (1858-1923), est en train d’accomplir la traversée de l’Asie, de l’ouest à l’est. Il raconte, dans une lettre, qu’à son arrivée dans la ville chinoise Kachgar, il fut invité à un repas chez le gouverneur de cette ville. Le menu de ce repas, mérite d’être cité. 

Les ailerons de requins, les holothuries farcies de moelle, les crabes confits étaient assez médiocres. Le canard à la mode du Yunnan et les andouillettes de foie du même volatile étaient tout à fait supérieurs. En revanche les oeufs farcis d’une gelée parfumée et les racines de bambou marinées dans l’huile de ricin, qu’on mange à la fin du repas, étaient détestables.  

Les queues de rats au sucre et les sangsues confites accompagnaient de très bonnes salamandres confites et farcies.

Voilà un repas qui n’est pas commun.

Code cérémonial

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La question de savoir à quelle heure on doit arriver pour un dîner est un sujet constant de controverse. Doit-on se présenter à la maison où l’on est convié, à l’heure précise marquée sur la carte d’invitation ou bien y arriver quelque temps avant ?

Nos pères n’auraient pas hésité sur la réponse. Pour eux, c’eût été une inconvenance de se présenter chez un amphitryon juste pour se mettre à table. Il était de rigueur d’arriver un quart-d’heure avant le moment fixe du dîner, afin de présenter ses hommages aux maîtres de céans, de lier connaissance avec les personnes conviées. Je crois que cette règle est toujours la bonne pour les dîners privés.

Pour les repas d’apparat ou les repas officiels, il est loisible de se présenter seulement à l’heure indiquée sur l’invitation, car cette heure est celle à laquelle les maîtresses de céans se tiennent dans le salon à la disposition de leurs hôtes, et le dîner n’est jamais servi qu’un quart-d’heure environ après.

En dehors des questions de politesse, il faut faire en tout cela la part des habitudes de la maison où l’on est invité. Celle-ci n’a pas les mêmes usages que celle-là, et ce qui serait un tort ici, devient une preuve de tact là. En tout cas, il faut toujours se rappeler ce mot très juste d’un grand seigneur anglais : « Ce n’est pas moi qui ai besoin d’exactitude, c’est mon cuisinier. »

Hôtes et amphitryon doivent tenir compte de cette remarque, et se souvenir également qu’un dîner réchauffé ne valut jamais rien

Illustration : Henry Monnier.

Le quatorzième

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Un journal de Londres annonçait la mort de John-Andrew Malketh. Il a laissé une fortune de 500,000 fr. qu’il a gagnée à la sueur de sa bouche… Je m’explique :

J. A. Malketh a exercé, pendant trente-cinq ans, la profession de quatorzième à table. Toujours habillé irréprochablement, ce gentleman se présentait à l’heure des différents repas dans les maisons où il savait que l’on tenait table ouverte. Il demandait si on avait besoin de lui, c’est-à-dire si on était treize à table et si l’on désirait un quatorzième.

Si la réponse était négative, Malketh s’en allait avec beaucoup de dignité. Mais si la réponse était affirmative, Malketh entrait dans la salle à manger, saluait de la tête les maîtres de la maison, s’asseyait à table et mangeait très tranquillement. Le festin fini, il s’esquivait aussi dignement que possible, et en sortant il recevait, soit du maître d’hotel, soit d’un domestique quelconque une livre sterling, quelquefois deux, selon la longueur et l’importance du repas.

Pendant trente-cinq ans, Malketh a rempli son ministère avec zèle. On n’a jamais eu à se plaindre de lui. Il n’a pas souffert la moindre indigestion, et Dieu sait s’il n’était pas exposé à en avoir ! Souvent, dans la même journée, il a déjeuné deux ou trois fois, dîné copieusement et il a fait partie d’un long souper.

Le hasard lui a fait choisir ce fatiguant métier. Il était ouvrier relieur, il avait de bonnes manières et travaillait près de l’hôtel d’un banquier. On se servit deux ou trois fois de lui pour ne pas être treize à table. Après cela il quitta la reliure et se donna à cette spécialité.

Malketh n’était pas vieux, il n’avait que cinquante-quatre ans. Il n’était pas marié. Sa fortune passe à son neveu, dessinateur de talent.

Avec Malketh, ne s’éteint pas la profession de quatorzième à table. Londres possède deux ou trois gentleman qui exercent ce rude métier et vivent avec tout le confort possible.

« Almanach du buveur, du négociant en vins et du viticulteur. »  Bordeaux/Paris, 1870.
Illustration : Cecil Aldin.

La bouillie des chanoines

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Un fait assez singulier se passait, le mardi de Pâques de chaque année, dans la ville de Rennes. Madame Barreau, ci-devant de Girac, est abbesse de Saint Georges, communauté située dans ladite Ville.

Cette abbaye a, de temps immémorial, le droit suivant sur les chanoines de la cathédrale. Ils sont obligés de venir processionnellement chanter la grande messe le mardi de Pâques à l’abbaye, sous peine d’une amende considérable. Mais en revanche, l’abbesse est obligée, après la cérémonie, de faire entrer dans une des cours de l’intérieur du couvent, chanoines, dignitaires, bas-choeur, musiciens, chantres etc., et là, de leur donner une ample ration de bouillie et de sucre. Ce qu’il y a de plus original, c’est que la bouillie doit être urcée  (c’est-à-dite un peu brûlée), ce que le grand chantre vérifie, en trempant son index dans le grand bassin. Après l’examen du gourmet, les religieuses distribuent la bouillie à chacun des assistants, et se rangent debout d’un côté, tandis que ceux-ci sont occupés à manger de l’autre.

La cérémonie faite, les chanoines s’en retournent, dans le même ordre qu’ils sont venus , avec la seule différence que beaucoup de ces messieurs emportent chez eux des écuelles pleines de bouillie, de manière que d’une main, ils tiennent l’aumusse et le basson, et de l’autre, leur bouillie.

J’atteste la vérité de ce fait, comme témoin oculaire, car, voulant m’en assurer l’année dernière, je trouvai le moyen de me faufiler avec quelques amis, tandis que le chapitre entrait. Notre dessein était d’enlever la bouillie de ces messieurs, et de la porter aux Ecoles de droit. Mais comme nous n’étions que trois, nous ne pûmes exécuter ce projer. Nous nous contentâmes d’assister au repas auquel deux de nous prirent part, en se faisant passer pour musiciens.

Il est étonnant que des droits pareils aient subsistés dans le dix-huitième siècle. Mais depuis la suppression des chanoines, le repas n’aura plus lieu, faute de convives.

« Almanach littéraire ou Etrennes d’Apollon. »  Paris, 1792.
Illustration : damien chavanat.

Les beugleuses

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Une revue de New-York annonce la prochaine apparition de « Parleurs automatiques », destinés à beugler leurs annonces le long des rues épouvantées par ces réclames  vociférées. Voici le dispositif de ces appareils.

On sait (ou du moins on devrait savoir) qu’une dynamo à courants alternatifs émet un son plus ou moins intense. En modifiant convenablement la vitesse de l’alternateur, la répartition des pôles, etc., etc., il est possible de substituer à l’onde régulière produite par le produit de l’alternateur ordinaire une onde correspondant aux vibrations caractéristiques d’une phrase prônant telle ou telle denrée, tel ou tel homme politique. La dynamo une fois établie, il suffit de la mettre en mouvement pour que son courant, reproduise, plus inlassable que les plus inlassables camelots, la phrase en question.

De cette explication lumineuse (j’ose le dire bien que vous n’ayez pas eu le courage de la lire entièrement), il appert que le nouveau mode de hurleurs mécaniques dont elle nous promet la création prochaine, va devenir pour l’observateur adonné aux flâneries une source d’intarissable et pure allégresse. Songez donc ! Un monsieur ventripotent, le teint fleuri, la démarche bovine, s’avance d’un pas tranquille et lent sur le trottoir, quand soudain il entend hurler à son oreille :

« Vous êtes trop gros ! C’est vilain un ventre pareil ! »

Encoléré, il se retourne pour voir quel insolent loustic se permet… personne ! c’est la voix d’un transformateur qui actionne une série d’appareils récepteurs distribués dans la rue et qui répète avec insistance:

« Pour’maigrir, buvez la potion Graissophage. »

Dans la rue voisine, une anguleuse miss aux coudes pointus, faite comme une planche à repasser, rougit de fureur, poursuivie par ces clameurs invisibles :

« Vous seriez potelée à souhait, si vous mangiez des pommes de terre O’Boyseats à chaque repas ! »

Martyrs du gras-fondu, victimes de l’étisie, quelle joie de contempler vos rages impuissantes !

« Musée des familles. »  Paris, 1895.
Illustration de Godefroy.

Un repas de noces

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Ce repas de noces, on le trouvera peut-être un peu étrange, mais il faut dire aussi qu’il a lieu chez des anthropophages. Une antique coutume, nous raconte dans la France M. Fulbert-Dumonteil, exige qu’en mariant sa fille la mère cesse de vivre et figure, comme plat d’honneur, au festin nuptial.

Pour cette infortunée, le jour des noces est son jour de mort. Elle le sait dès son enfance, s’y attend, s’y résigne. Au milieu des danses et des chants joyeux, elle régalera de sa chair l’enfant qu’elle a nourri de son lait. Voici comment la chose se passe, d’après le voyageur Alexandre Lostougoff :

On hisse la belle-maman, avec infiniment de respect, sur la haute branche d’un arbre solitaire. Là, elle pend dans le vide, se cramponnant avec les mains au rameau fatal qu’elle lâchera bientôt pour faire son entrée à table et dans l’éternité.Le gendre donne le signal des danses et entonne la chanson du sacrifice :

♪ « Tiens-toi bien, vieille femme, tiens-toi bien ! Quand le fruit est mûr, le fruit tombe à terre. » ♫

Voyez-vous la malheureuse s’accrochant avec désespoir à cette branche maudite qui n’est point, certes, une branche de salut; promenant sur la foule un regard suppliant et désolé; se trémoussant dans le vide avec des contorsions à la fois comiques et navrantes ! Frappant sur son bouclier, le gendre répète, comme un verset funèbre, le chant de mort, et la mariée assiste, impassible, à ce spectacle épouvantable, songeant que, devenue mère à son tour, elle est destinée à subir le même sort.

Enfin, la patiente, à bout de forces, lâche la branche et s’aplatit sur le sol. Le fruit était mûr. Les chants redoublent, assourdissants, féroces, exaltés. Il ne reste plus qu’à se mettre à table. Pauvre belle-maman ! il n’est plus à craindre qu’elle vienne troubler, un jour, la paix du jeune ménage.

« Gazette littéraire, artistique et bibliographique. »  Paris, 1891.
Illustration : Astérix & Obélix / Uderzo-Goscinny.