Raimu
Colères
Concordat
Les colères de Napoléon étaient terribles, mais souvent étudiées. L’homme savait jouer des effets de terreur qu’il produisait pour arracher à ses interlocuteurs des acquiescements difficiles. On se souvient de la scène qu’il fit au pape, qu’il avait amené à Fontainebleau, pour l’obliger à signer le concordat. Pendant une heure, il se montra séduisant et persuasif. Le pontife ne dit rien et laissa tomber ce seul mot : Comediante !Alors l’empereur explosa et, pendant une heure, tonna. Le pape l’écouta sans mot dire et laissa encore tomber un mot : Tragediante !
Prétexte
C’est une colère qui valut à la France l’Afrique du Nord. Le dey d’Alger, recevant notre ambassadeur, qui le pressait de régulariser ses relations avec le royaume, s’emporta et le gifla avec son éventail (ou avec un chasse-mouches, selon une autre version).Pour venger cet affront, Louis-Philippe décida la conquête. C’est ainsi que l’Algérie devint française.
Colère et calcul
Raimu, qui témoigne en ce moment à la Comédie-Française une patience d’Ange, fait au studio une scène à l’heure. Tout lui est prétexte pour s’emporter : une porte qui ferme mal, un curieux qui glisse un œil sur le plateau.Ces colères, souvent savantes, lui procurent une tranquillité que les autres artistes ne peuvent obtenir par gentillesse, en même temps que maintes concessions de ses producteurs.
Acteurs dans la bagarre
Il est des acteurs, qui trouvent dans la colère la meilleure expression de leur tempérament.Jean Gabin a exigé longtemps, par contrat, une colère par film, pour qu’il pût faire valoir tous ses effets. De même, James Cagney, le cogneur, refusait de jouer dans une production si le scénario ne comportait pas une bagarre. Wallace Beery s’est fait une spécialité de rôles colériques. Sa première fureur cinématographique avait fait doubler son contrat. Dans la vie c’est le plus doux des hommes.
Honorable colère
Le général de Gaulle est célèbre pour ses colères froides. Elles lui suggèrent des mots terribles.Mais les colères de de Gaulle sont des manifestations de caractère. Jamais le président du gouvernement provisoire ne s’irrite contre les choses ou les événements. Il a connu, pendant les quatre ans de sa lutte obstinée des traverses innombrables et les contretemps les plus agaçants. Ses avions sont tombés en panne, pendant des journées entières, alors qu’il était impatiemment attendu. En face du mauvais sort ou de l’adversité, de Gaulle conserve toujours un calme imperturbable. Il ne se met en colère que contre les hommes faibles, incapables ou perfides.
Le chef du gouvernement est un monsieur « pas commode ». Mais ses emportements ou ses ressentiments sont toujours ceux d’un homme.
« La Femme : hebdomadaire illustré des femmes de la libération nationale. » Directrice Lucie Aubrac; rédactrice Eliane d’Orniel. Paris, 1946.
Le squatteur
Un jour, Raimu, qui se reposait à Bandol, reçoit la visite d’un ami.
Comme le visiteur s’attarde et ne semble pas vouloir s’en aller, Raimu, ayant regardé sa montre qui va bientôt marquer dix-neuf heures :
— Alors, tu dînes ici ce soir ?
L’interpellé demeure quelques secondes étonné. Quoi, serait-ce une invitation à dîner ?
Mais Raimu, immédiatement, le rassure.
— Parce que, si tu veux dîner ici, je peux t’indiquer un très bon restaurant, pas très loin et pas trop cher, malgré la dureté des temps !
« Almanach / Ciné-miroir. »Paris, 1945.
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