prince de Condé

De l’à-propos

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louis-XIV

L’à-propos tient une place brillante dans la conversation. C’est une fusée qui part soudain, et illumine le discours ou la situation d’une douce et agréable lumière.

Vaugelas travaillait au Dictionnaire de l’Académie, lorsque le cardinal de Richelieu lui accorda une pension. Il vint pour l’en remercier.

— J’espère, dit le cardinal en l’apercevant, que vous n’oublierez pas le mot Pension dans votre dictionnaire.
— Non, Monseigneur, répliqua l’académicien, et encore moins celui de Reconnaissance.

Un jour à la suite d’un grand dîner, où Fontenelle avait déployé toutes les grâces de son esprit pour faire sa cour à madame Helvétius, il passa par inadvertance devant elle sans s’arrêter.

— Eh bien ! Monsieur le galant, lui dit-elle, quel cas voulez-vous donc que je fasse de vos déclarations ? Vous passez devant moi, sans même me regarder.
— Madame, répondit aussitôt Fontenelle, si je vous avais regardée, je ne serais pas passé.

Personne n’a jamais su mieux que Louis XIV s’identifier à la situation du moment, et personne n’a jamais exprimé en de meilleurs termes ce qu’il avait à dire. Il incrustait en quelque sorte ses pensées et ses sentiments dans des paroles en relief et faites pour l’histoire. C’est ainsi qu’après la victoire de Senef, voyant le prince de Condé monter l’escalier de Versailles, le roi qui l’attendait en haut des marches, lui dit avec cette présence d’esprit et cette politesse toute royale qui ne l’abandonnaient jamais :

— Mon cousin, quand on est chargé de lauriers comme vous, on ne peut marcher bien vite.

Plus tard, dans des temps malheureux, Louis XIV trouvera un de ces mots partis du cœur, pour consoler le maréchal de Villeroy de ses défaites successives :

— Monsieur le maréchal, à notre âge, on n’est plus heureux.

Racine fut très bien inspiré le jour où, accompagné de Boileau, il causait du passage du Rhin avec le roi. Louis XIV leur ayant dit :

— Je suis fâché que vous ne soyez point venus à cette dernière campagne, vous auriez vu la guerre et votre voyage n’eût pas été long.

Racine répondit aussitôt :

— Sire, nous ne sommes que deux bourgeois qui n’avons que des habits de ville; nous en commandâmes de campagne, mais les places que vous attaquiez furent plus tôt prises que nos habits ne furent faits.

Cela fut reçu très agréablement.

Jules Rostaing. « Manuel de la politesse des usages du monde et du savoir-vivre. » écrit sous le pseudonyme de Mme J-J Lambert. 1824.

Les apothicaires

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apothicaire

On vient de retrouver, dans la collection Joly de Fleury, le mémoire des médicaments qui furent fournis au prince de Condé, fils du Grand Condé, par les apothicaires du corps du roi dont le premier s’appelait Biet.

Le prince de Condé fut assez longtemps malade, puisque le mémoire parle de médicaments livrés le 2 septembre 1708, lendemain du jour où le prince s’alita, jusqu’au 31 mars 1709 où il mourut.

Il avait trois médecins : Finot, Chauvin, Morel, qui commencèrent par lui administrer de la tisane faite avec du riz, du raisin, de la guimauve et du sucre candi, sans préjudice des clystères réitérés avec l’huile de bœuf dont ils l’attaquaient de l’autre côté… Hélas ! cela ne réussissait pas, et on eut recours à un quatrième médecin, Helvétius, qui conseilla le traitement avec de l’hyacinthe. Ce traitement ne réussissant pas encore, on administra au prince de l’eau de pavot, de la tisane de cornes de cerf, de l’ipéca, de raisins, des jujubes, de la réglisse, de la mauve, de la racine de gui, etc….

Il n’en mourut pas moins le 31 mars 1709, et d’après le mémoire des médecins, « il succomba à la maladie dont il souffrait ». Il y avait quelques années que Molière avait constaté, avec la Faculté que, quand une jeune la fille ne parle pas, c’est qu’elle est muette.

« Le Journal du dimanche : gazette hebdomadaire de la famille. »  Paris, 1905.

Aymar le sorcier

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sorcier

Les merveilleux exploits de Jacques Aymar ont passionné la France pendant plusieurs mois ; la puissance de sa baguette a ensorcelé la plupart de ses contemporains. Considéré par le peuple ignorant à l’égal d’un dieu, il a vu sa vertu divinatrice discutée par les académies savantes. Un groupe de philosophes imagina à son occasion le système des corpuscules et des émanations ; son histoire a été écrite de son vivant ; il survécut à sa ruine, que raconte Baluze d’un ton railleur.

Fils de paysans du Dauphiné, Aymar s’était fait connaître à Grenoble, en découvrant, à l’aide de sa baguette de coudrier, les sources, les métaux précieux enfouis dans le sol, les voleurs et les assassins. Une occasion favorable allait bientôt rendre son nom fameux dans tout le royaume.

Le 5 juillet 1692, un marchand de vin et sa femme furent assassinés dans la cave de la maison qu’ils habitaient à Lyon. Le vol était le mobile du crime : la caisse de leur comptoir avait été fracturée. Aucun indice ne décelait les coupables. On eut recours au sorcier Jacques Aymar.

Conduit par le lieutenant criminel et le procureur du roi dans la cave où l’on avait trouvé les cadavres, le devin y prit son impression. La baguette, qu’il tenait à la main, se mit à tourner vivement à l’endroit où les victimes avaient été relevées. Par ses soubresauts, elle indiquait l’existence de trois complices. Se laissant diriger par la verge de coudrier, Aymar suivit, à travers les rues de Lyon, la piste des coupables; il sortit de la ville, descendit le Rhône, signala plusieurs maisons où les assassins s’étaient arrêtés, Les habitants de ces fermes dirent, en effet, que le lendemain du crime trois inconnus s’étaient attablés chez eux. La piste se perdant dans le sable au bord de l’eau, Aymar pensa que les criminels s’étaient embarqués. Il monta lui-même en bateau, arriva à Beaucaire. Sa baguette le conduisit à la prison. Il appliqua sur tous les détenus le bâton magique qui tourna rapidement sur un petit bossu écroué depuis la veille pour un vol insignifiant. Aymar affirma que le bossu était un des auteurs du crime de Lyon. Interrogé par les magistrats qui avaient accompagné le sorcier, le prisonnier repoussa énergiquement l’accusation. On le ramena à Lyon, par la route qu’avait désignée la baguette.

Chemin faisant, reconnu par les gens chez lesquels il s’était arrêté, il avoua qu’il avait aidé ses deux complices dans la perpétration du crime. Aymar se mit à la poursuite des deux autres coupables. Mais sa baguette l’ayant mené jusqu’à la frontière italienne, il dut revenir sur ses pas. Son retour à Lyon fut un triomphe. Le 30 août 1692, le bossu, condamné à être rompu vif, expiait son crime sur la place des Terreaux.

Cet événement merveilleux eut un grand retentissement. La verge d’Aaron et celle de Moïse parurent de beaucoup distancées ; les baguettes de Minerve et de Circé, le caducée de Mercure, les bâtons sacrés des augures n’avaient jamais produit de plus étonnants prodiges ; la baguette divinatoire des alchimistes du moyen-âge n’était qu’un jouet d’enfant auprès de celle du sorcier Aymar. Les ardentes controverses que soulevèrent, à une époque rapprochée de nous, le baquet de Mesmer, les esprits frappeurs et les tables tournantes, ne sauraient donner une idée de l’agitation qui suivit la découverte de l’assassin de Lyon.

jacques-aymarM. de Vanigny, procureur du roi, qui avait utilisé dans l’affaire la science de Jacques aymar, publia une relation intitulée : Histoire merveilleuse d’un maçon qui, conduit par la baguette divinatoire, a suivi un meurtrier pendant quarante-cinq heures sur la terre et plus de trente heures sur l’eau. Ce mémoire servit de thème à une nouvelle publication qui parut bientôt avec ce titre : Récit de ce que Jacques Aymar a fait pour la découverte du meurtrier de Lyon, dressé sur le procès-verbal du procureur du roi de Lyon, M. de Vanini. La narration du fait devait conduire à sa discussion scientifique ; deux médecins en étudièrent les détails et en cherchèrent l’explication, dans les ouvrages suivants imprimés à Lyon en 1692 :

1 ° Lettre à Madame la marquise de Senozan, sur les moyens dont on s’est servi pour découvrir les complices d’un assassinat commis à Lyon le 5 juillet 1692, par M’. Chauvin, docteur en médecine; — 2° Dissertation physique en forme de lettre à Monsieur de Sèves, seigneur de Fléchères, sur Jacques Aymar, par Pierre Garnier, docteur en médecine de l’université de Montpellier.

En réponse au P. Lebrun, de l’Oratoire, et à Mallebranche, qui ne voyaient dans le sorcier qu’un suppôt de Satan, un groupe de philosophes attribua les propriétés de sa baguette à des émanations s’échappant des fontaines, des métaux, du corps humain.
Aymar voyait son renom grandir au bruit de cette querelle.

Il fut mandé à Paris par Henri-Jules de Bourbon-Condé. fils du grand Condé, qui l’installa dans son hôtel et soumit à l’épreuve sa puissance divinatrice. L’abbé de Vallemont raconte, dans sa Physique occulte, qu’il n’a cessé d’observer le sorcier pendant son séjour chez le prince, et qu’il est demeuré convaincu de son pouvoir.

Cependant, la fortune d’Aymar touchait à son déclin. Surveillée de près, sa baguette ne faisait plus de prodiges ; elle ne tournait pas sur les sources cachées ; l’or enfoui ne lui donnait aucun soubresaut; la piste des voleurs et des assassins était impuissante à l’agiter.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, neveu du célèbre ministre de Louis XIV, suivait attentivement les expériences. Une des épreuves, auxquelles il soumit Jacques Aymar, est racontée dans l’Architecture hydraulique de Bélidor; elle n’eut pas plus de succès que les autres. Etienne Baluze, qui, après la mort de Colbert, était resté très attaché au marquis de Torcy, observa avec intérêt les manoeuvres du sorcier, et rendit compte de sa déconvenue à un neveu par alliance, M. Melon Duverdier, conseiller du roi au présidial de Tulle, dans une lettre d’où nous détachons le passage suivant : 

« A Paris, le 7 mars 1693.
Jaques Aymar et sa baguette ont perdu ici leur réputation. Mercredy de la semaine avant celle-cy il y eut un homme tué de 18 ou 20 coups d’espée dans la rue Saint-Denys. M. le Prince, qui a Jaques Aymar chez luy, envoya prier M. le procureur du Roy de faire l’essay de la vertu de la baguette en cette occasion. Ce qui fut fait. Il passa deux fois sur le sang, où il y avait asseurément bien des corpuscules, puisque la chose estoit toute fraische. Cependant il n’y vit que de l’eau claire. M. le procureur du Roy le mena ensuite par les rues où les meurtriers avoient passé, et enfin dans la rue où ils estoient. Car des mouchards les avoient suivis, et on sçavoit où ils estoient. Ce que Jaques Aymar ne sceut jamais deviner. M. le Prince, M. le prince de Conty, M. le duc de Roquelaure et autres y estoient présents. Je ne sçay pas comment les philosophes de Lyon expliqueront cela. Mais on dit ici que Jaques Aymar s’excuse sur ce que ce n’estoit pas un assassinat, mais une rencontre. Meschante excuse, à mon avis, qui ne sçais rien de la philosophie des corpuscules. »

sourcierSi l’habile sorcier défendait avec énergie la puissance de sa baguette, ses nombreux partisans étaient disposés à accepter de lui la plus futile des excuses. La verge divinatoire avait ses croyants que rien ne rebutait ; elle comptait, en province comme à Paris, des prosélytes prêts à fermer les yeux sur ses défaillances et à imaginer des hauts faits qu’elle n’avait jamais accomplis.
Le 21 mars 1693, Baluze écrivait à ce sujet à son neveu Duverdier :

« Mon frère me charge de vous remercier de sa part de la peine que vous avez prise de lui escrire au suject de la charge d’advocat du Roy. Et sur ce que je luy avois escrit l’avanture arrivée à Paris à Jaques Aymar dans la rue Saint-Denys, dont il avoit fait lecture à M. de Lagarde, il m’escrit que M. Lagarde luy a respondu qu’il y a des jours auxquels un bon chien de chasse ne sçait ou ne peut chasser, et que ledit Jaques Aymar ayant esté mené à la bibliothèque du Roy, il a descouvert quantité de pièces d’or et d’argent que plusieurs personnes curieuses avaient caché dans divers volumes pour expérimenter son sçavoir faire. Ce qui est très faux, car il n’a pas esté une seule petite fois à la bibliothèque du Roy. » 

Quand le prince de Condé eut démasqué l’impuissance, de la baguette divinatoire, il fit proclamer le résultat de ses épreuves. Aymar, convaincu d’imposture, dut quitter Paris. Baluze, qui raconte ce départ piteux, nous apprend que le sorcier avait fait école; il écrit, le 28 mars 1693, à M. Duverdier :

« Jaques Aymar s’en est retourné mescontent de Paris, à ce qu’on dit. On a imprimé depuis peu à Paris un gros livre in-12 pour justifier sa vertu occulte pour descouvrir les meurtriers et choses volées. A la fin on adjoute que M. Geoffroy, ancien eschevin de Paris, — c’est un apothicaire, — a chez luy un garçon qui, sans baguette, par le seul mouvement de la nature, descouvre l’or et l’argent, et qu’il en a fait plusieurs expériences. Il est vray qu’il en a fait à la bibliothèque du Roy. Mais il y a aujourd’huy trois semaines qu’il y eut à la bibliothèque du Roy un grand concours de curieux pour luy voir faire une semblable expérience. Mais M. l’abbé Galloys s’y trouva malheureusement pour luy. Car il prit luy- mesme le soin d’enfouir dans la terre dix louis d’or sans que personne peut apercevoir où il les mettoit. En suite il appelle le devineur, qui devina qu’ils estoient où ils n’estoient pas, et ne peut pas deviner où ils estoient, quoyqu’il passa plusieurs fois par dessus. Il se fait bien des tours de passe-passe en ces occasions lorsqu’il n’y a pas des gens faits comme M. l’abbé Galloys. »

L’élève n’avait pas été plus heureux que le maître. Mais Jacques Aymar, chassé de Paris, retrouva à Lyon une partie de son crédit. Brossettes, ami de Boileau, racontait au poète, dans une lettre du 25 septembre 1706, une entrevue qu’il avait eue avec le fameux devin, et lui parlait en termes enthousiastes de la vertu de sa baguette. Boileau lui répondit qu’il s’étonnait de le voir prendre au sérieux de pareilles puérilités.

Sur la fin de ses jours, un triste rôle était réservé au sorcier dauphinois. Employé dans la guerre des Camisards, il signalait au maréchal de Montrevel et à l’intendant Bâville les protestants qui devaient être mis à mort. Tous les prisonniers, sur lesquels tournait sa verge de coudrier, étaient immédiatement égorgés. La baguette divinatoire devint un odieux moyen de dénonciation au service des haines politiques et religieuses.

« Le Feu follet. »   Paris, 1880