Périgord

Duels excentriques

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marcel_brezellecIl en est des histoires de duel comme des histoires de chasse puisque toutes ont été contées. Voici pourtant de curieuses anecdotes de duels certainement vierges de tout livre et de tout journal. Des vieillards me les ont répétées quand j’étais tout enfant.

Date : le premier Empire; contrée : le Périgord; héros : le marquis Merle de Ste-Marie. Ce marquis de Sainte-Marie était alors un grand vieillard, duelliste enragé, sorte d’hercule et de géant, vif comme la poudre, brave comme l’épée et plus royaliste qu’un drapeau blanc.

C’était, à cette époque, des rixes incessantes et meurtrières entre royalistes et bonapartiste, militaires et bourgeois. Pour un mot, un geste, un sourire, on mettait flamberge au vent. L’épée, tirée du fourreau, y rentrait toujours ensanglantée, et les pistolets de combat ne rataient jamais. Ce n’étaient point les affaires, mais les adversaires qui « s’arrangeaient » fort proprement.

Un jour, Pierrot d’Issac, duelliste forcené, va trouver Merle de Sainte-Marie, et lui tient ce propos logique :

Marquis, je suis bonapartiste et vous êtes royaliste; je suis Pierrot et vous êtes Merle. Ne trouvez-vous pas qu’il y a ici un oiseau de trop ?
Parfaitement, riposte le marquis en se redressant avec une fierté menaçante. Provoqué, je choisis le pistolet et, comme il convient à des oiseaux de notre espèce, je propose que nous nous battions sur des arbres…
C’est entendu.

On se rend, dans la forêt de Vergt, aux portes de Périgueux, et voilà chaque adversaire sur son arbre. Les témoins, le nez en l’air, assistent à ce combat aérien, extraordinairement singulier. Les coups partent, les balles se croisent en sifflant, et un bruit significatif se fait dans le feuillage de l’un des deux châtaigniers, perchoirs des combattants.  C’est Pierrot d’Issac, qui, blessé à la jambe gauche, dégringole comme une châtaigne mûre. Par bonheur, il s’accroche aux dernières branches où les témoins s’empressent de le cueillir, tandis que Merle de Sainte-Marie, ce qui n’était pas absolument correct, se met gaiement à siffler son triomphe.

Indigné d’une telle impertinence, Pierrot d’Issac adresse immédiatement un nouveau cartel à son vainqueur, et, huit jours après, il allonge un superbe coup d’épée à son adversaire. Le Pierrot s’était vengé du Merle.

A cette époque ferrailleuse, se trouvait à Périgueux le fameux général Fournier, spadassin sans rival. Sa force au pistolet tenait du prodige.

Dans un hôtel de la ville a lieu un banquet royaliste que préside le marquis de Sainte-Marie. Le général Fournier, en grand uniforme, pénètre dans la salle du festin, salue avec une exquise courtoisie, s’approche du président, tire son épée, pique une poire dans l’assiette du marquis et la savoure lentement. Sainte-Marie se lève, saisit un plat de crème au chocolat et le verse sur la tête du général. D’un bout de la table à l’autre, une explosion de rires et de bravos frénétiques. Le général prend une serviette, s’essuie, salue et s’en va.

Une heure après, dans une salle de l’hôtel, à la lueur des bougies, le général Fournier et le marquis échangent un coup d’épée, et gravement blessés à la fois, c’est miracle qu’ils ne succombent pas à la blessure réciproque qui les retient, chacun, près d’un mois au lit.

Un jour, à Périgueux, ce général Fournier, dont les duels excentriques avec le général Dupont ont été si souvent racontés, commit une effroyable imprudence qui serait, aujourd’hui, sévèrement châtiée. Le général se trouvait sur le balcon d’une maison, en compagnie de jeunes et de charmantes dames enthousiastes de sa bravoure et de son habileté sans rivale à l’épée comme au pistolet.

Passe le chanoine Dutard, vieillard ventripotent et craintif, qui s’en va paisiblement chanter des versets à la cathédrale de Saint-Front. Le chanoine a une manie : c’est de porter à la bouche une rose qui ne quitte jamais ses lèvres…

Regardez, mesdames, dit le général en armant son pistolet; je vais d’une balle enlever la rose du chanoine.

Les jeunes femmes, épouvantées d’une telle audace, entourent Fournier, le prient, le supplient, le conjurent de chasser cette idée insensée. Le coup part, la rose tombe et le chanoine aussi. Mais c’est de peur qu’il fait la culbute. Sans lui causer une égratignure, la balle a enlevé la rose…

Le général ne fut même pas excommunié. Je reviens au marquis de Sainte-Marie et à son duel le plus fameux.

Je ne sais quel régiment arrive à Périgueux où il doit séjourner cinq ou six jours. Le colonel en passe la revue sur la promenade de Tourny. Les habitants de la ville, curieux mais hostiles, faisaient la haie.

Faites donc reculer la foule ! ordonne le colonel aux sapeurs du régiment.

Les spectateurs s’écartent un peu; mais un grand vieillard à cheveux blancs, robuste et droit comme un chêne, reste impassible, l’air dédaigneux et fier, les bras croisés sur sa large poitrine. C’est le marquis de Sainte-Marie. Indigné de cette attitude provocante et hautaine, un capitaine, appelé Rolland, s’avance,et, du pommeau de son épée, frappe le vieillard récalcitrant.

Merle de Sainte-Marie arrache l’épée des mains de l’officier, la brise comme un rameau de bois mort, et en jette les tronçons au visage de son agresseur. Une lutte s’engage corps à corps, furieuse, insensée; on sépare, on attache les combattants, et, par ordre du colonel, les deux adversaires sont mis aux arrêts, l’officier à la caserne, le marquis dans son hôtel, gardé par trois sentinelles.

Sainte-Marie, prisonnier chez lui, apprend un soir que le régiment doit prendre la route de Paris, le lendemain, vers quatre heures du main. Qu’importe ! il se vengera du capitaine. Son plan est fait. Il songe que la cinquième maison après la sienne est la demeure d’un ami intime. Il grimpe dans la cheminée, atteint le toit, longe quatre maisons avec une adresse de couvreur et une agilité de chat, s’arrête au logis de son vieux camarade, enlève les tuiles, brise les lattes, descend dans le grenier, prend l’escalier des appartements et se présente quand la famille est à table, se sert une aile de volaille et se verse un grand verre de bordeaux.

On se figure aisément la stupéfaction et la joie des convives. Après souper, le marquis prend son ami à part et lui confie son projet.

Le lendemain, dès l’aurore, le marquis est à cheval, sa fidèle épée cachée sous un ample manteau; il a l’air ainsi d’un bon bourgeois de la ville se rendant a une foire des environs. Prenant un chemin de traverse qui abrège, il donne de l’éperon et arrive sur la route de Paris où doit passer le régiment. Là, il attache son cheval à un chêne, met son habit à bas, retrousse les manches de sa chemise et, l’épée à la main, attend.

Bientôt, les uniformes brillent au soleil levant et la poussière s’élève tout le long de la route.Le régiment s’avance, approche encore, il arrive, il est là; campé au milieu du chemin et se dressant de sa haute taille, le marquis de Sainte-Marie, toujours immobile et comme en garde, attend, semble dire : On ne passe pas.

Les soldats s’étonnent, ralentissent le pas; le colonel s’informe, apprend que le marquis exige satisfaction du capitaine Rolland.

Qu’il en soit ainsi, répond vivement le colonel, allons, capitaine Rolland, alignez-vous !

Voilà, ayant tout un régiment pour témoin, les deux adversaires en présence.

Ce ne fut pas long. Au bout de deux minutes, le marquis traversait le cœur du capitaine. On met son cadavre clans un fourgon et le marquis Merle de Sainte-Marie, saluant le colonel avec une courtoisie parfaite, essuie son épée, endosse son habit et monte à cheval, gagnant Périgueux au petit trot de sa monture.

Fulbert-Dumonteil. « Le Grand écho du Nord de la France. » Lille, 4 octobre 1890.
Illustration : Marcel Brézellec.

 La dinde des Rois

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dinde

Pourquoi le vieil usage de servir une dinde rôtie le jour des Rois ? Ce fut, dit la chronique, le jour de l’Epiphanie que ce gallinacé d’élite l’ut savouré pour la première fois, en France, sur la table royale, non de Charles IX, mais de Louis XII. En embrochant la dinde de l’Epiphanie, ou célèbre, sans s’en douter, un grand anniversaire de conquête gastronomique. C’est à la fois une date mémorable pour la table et le poulailler. 

C’est au temps de la Renaissance que des moines portugais introduisent la pintade en France. C’est au commencement du XVIe siècle que des moines espagnols importent de l’Amérique du Nord le dindon en Europe. Sa domestication ne fut qu’un jeu, grâce a l’excellente nature de ce gallinacé qui semble né pour le tourne-broche. 

Si l’oie gauloise fut détrônée par le dindon américain, la vieille poule française conserva son immuable royauté, le sceptre des étables, la couronne des basses-cours. 

La bonté de sa chair acclame et distingue le dindon. Sa tenue est correcte et sympathique si l’on en excepte une pointe de vanité qui le pousse à faire la roue. Son gloussement pittoresque et familier n’a pas les éclats autoritaires des fanfares du coq qui semble avoir ramassé ses clairons sur les bords de la Garonne. 

Picorant dans les champs, sur la lisière des bois, le dindon demande peu de soins, peu de grains. On l’élève avec profit, on le nourrit sans peine. Il pèse lourd, coûte peu, se vend cher. Nos meilleurs dindons de France sont ceux du Berry, de la Touraine, de l’Anjou, du Périgord, surtout de la Vendée, où l’on rencontre des troupeaux de trois à quatre mille dindons, processions interminables qui ondulent et serpentent dans les champs ponctués de robes noires, égayés de gloussements sonores qui s’appellent, se répondent, se confondent, éclatent en notes jaillissantes et précipitées pour s’étendre, à l’horizon, dans on ne sait quel finale étrange et confus d’une mélopée lointaine qui s’éteint. 

Dans les vastes plaines de l’Ohio et du Mississippi, se rencontrent d’immenses troupes de dindons sauvages dont les gloussements font retentir les solitudes. Que de rôtis succulents perdus pour l’humanité ! Loin des truffes et des marrons du Périgord, ils picorent en sécurité et font la roue en paix. Ces dindons à l’allure vive et libre, au joli plumage blanc, roux, noir, café au lait, aux pattes infatigables et légères, sont la souche vénérable de nos dindons domestiques. 

Le dindon n’est pas, comme la pintade, rebelle aux charmes de l’étable et de la civilisation. Ce doux sauvage ne demande qu’à s’apprivoiser, qu’à venir émailler nos prairies et réjouir nos lèchefrites. Le dindon des forêts américaines se domestique si facilement, qu’il suit volontiers dans les fermes les dindons privés rencontrés à la promenade. En face des auges bien garnies, il semble dire dans un gloussement de satisfaction : « On est bien ici, restons-y ! » et il reste, il est mûr pour l’esclavage et la rôtissoire.

Pour un grain il a vendu sa liberté. Le voilà conquis aux honneurs de la civilisation et des casseroles.

« Le Chenil. » Paris, 1891.
Peinture : Frank Moss Bennett.

Synchronisme

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guerre

Sous le règne de Henri III, à l’époque de nos guerres de religion, les habitants de Villefranche en Périgord formèrent le complot de s’emparer de Montpazier, petite ville voisine. Sans rien connaître des intentions de ces derniers, les habitants de Montpazier jugèrent bon de s’emparer, la même nuit, de Villefranche.

Pour cette expédition, le hasard fit encore qu’ayant pris un chemin différent, jamais les deux troupes ne se rencontrèrent. Tout fut exécuté des deux côtés avec d’autant moins d’obstacles, que de part et d’autre les murs étaient demeurés sans défense. 

On pilla, on se gorgea de butin, les deux troupes triomphaient.

Quand finalement le jour pointa, les assaillants respectifs s’aperçurent de leur erreur. La conclusion fut que chacun s’en retourna chez lui, et que tout fut remis en ordre. 

Inspiré (un peu) des Mémoires de Sully.