nicotine

Suicide par le tabac

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fumeur-delacroixUn petit drame qui s’est déroulé récemment à Pest, en Hongrie, montre le tabac jouant un rôle plus dangereux que celui qu’on lui prête en général. On sait qu’il abrutit, qu’il altère la mémoire, qu’il occasionne parfois la terrible maladie du cancer des fumeurs. Mais dans la circonstance suivante, il va plus loin : il tue.

Le baron Bela Olnyi, après avoir occupé une situation de fortune importante, se trouva subitement ruiné. La passion du jeu, l’ayant fait s’engager à fond dans des opérations de Bourse, fut cause de son malheur. Mais il dissimula le désastre même à sa femme et à ses enfants. Il partit pour Paris, ou il contracta une assurance sur la vie d’un million. De retour à Pest, on remarqua un grand changement dans ses habitudes. Ce n’était plus l’homme brillant d’autrefois. Chaque jour il allait s’enfermer dans une petite chambre qu’il avait louée sous le prétexte d’études scientifiques.

Dix mois après il mourait, d’une phtisie galopante, disaient les médecins.

Les Compagnies d’assurances sont soupçonneuses. Cette mort presque subite d’un homme qui, lors de l’examen médical qui précède toute assurance sur la vie, avait paru merveilleusement constitué éveilla les soupçons. Un agent fut délégué pour pour procéder à une enquête minutieuse.

On trouva dans le réduit du baron un attirail exceptionnel de fumeur. Aux pipes turques, aux longues pipes de terre, aux cigares, au monceau de tabac commun, s’ajoutait un costume complet d’Oriental, robe, pantalon, fez. Cet accoutrement avait paru plus convenable au baron pour son expérience « d’enfumement ». D’après les boîtes ou les reçus des fournisseurs, on parvint à établir qu’en huit mois Bela Olnyi avait fumé mille cinq cents cigares et près de  cent kilos de tabac. L’exhumation du cadavre eut lieu, et l’on reconnut une intoxication totale de nicotine. C’était un véritable suicide par le tabac.

Naturellement, la Compagnie refusa de payer et la question est actuellement pendante devant les tribunaux.

« La Jeunesse moderne. » Paris, 22 octobre 1904. smoking
Peinture : Eugène Delacroix.

Le centenaire de la pipe

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fumeurs...

Un centenaire en l’honneur de la pipe s’organise en ce moment à Leipzig. Nous rappellerons sommairement à ce propos quelques souvenirs historiques intéressants.

C’est par les Portugais que l’usage de la pipe fut introduit au XVIe siècle en Europe, mais il était bien antérieurement répandu dans les Indes occidentales. Vers 1560, Jean Nicot, ambassadeur de France à Lisbonne, apporta dans notre pays la pipe et le tabac, d’où le nom de nicotine.

Pendant quelque temps, néanmoins, on se contenta de prendre le tabac par le nez. Ce n’est qu’un peu plus tard que la pipe commença à être adoptée. C’est sous Louis XIV que des distributions régulières de tabac furent faites pour la première fois aux troupes. Il y eut alors une sorte d’engouement pour la pipe, qui se répandit jusque dans les meilleures sociétés, et l’on vit même des grandes dames ne pas s’en priver. Saint-Simon raconte que les princesses du sang furent une fois surprises par le dauphin en train de fumer des pipes qu’elles avaient fait emprunter aux soldats du corps de garde du château de Marly.

On fuma un peu moins pendant le XVIIIe siècle, mais en revanche on prisa beaucoup. La pipe revint en grand honneur au moment de la Révolution, et l’on put même voir les plus illustres généraux de l’expédition d’Egypte fumer leur pipe à la tête de leurs soldats.

fumeuse-pipe.

Sous la Restauration, la pipe fut de nouveau dédaignée ; mais après 1830 sa faveur reprit de plus belle, et elle devint, aux belles époques du romantisme, le complément indispensable de toutes les fêtes littéraires et de tous les soupers qui suivaient les grandes premières représentations dramatiques du temps. Théophile Gautier a surtout fait valoir les délices de la pipe, dont il usa et abusa jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Aujourd’hui la pipe ne se fume plus guère en public : c’est le cigare qui est seul de bon ton dans la rue ; mais dans le huis clos la pipe est le délassement des classes sociales les plus différentes.

Nous avons cité, dans notre dernier numéro, un certain nombre de lettres défavorables à l’usage du tabac ; mais nous avons démontré que cet usage, sous quelque forme que ce soit, pipe, cigare ou tabac à priser, tend de plus en plus à se généraliser.

Il y a vingt ans, les femmes du monde qui fumaient étaient une très rare exception ; aujourd’hui plusieurs d’entre elles se permettent de fumer, et ne s’en cachent même pas.

« Gazette littéraire, artistique et bibliographique. »  1890, Paris.