misère

La genèse de Robinson Crusoë

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daniel-defoeEn l’honneur de Robinson Crusoë, qui lui enseigne si bien le goût des voyages et l’art de se débrouiller dans, une-île déserte, la jeunesse de tous les pays doit célébrer avec une ferveur particulière le deuxième centenaire (article écrit en 1931) du romancier et journaliste anglais Daniel Defoe.

Fils d’un boucher de la cité, Daniel Defoe, né à Londres en 1660, y mourut en 1731 après une vie très mouvementée et assez malheureuse, que remplirent surtout des luttes pour la liberté lors de la Révolution de 1688, des  polémiques, des vicissitudes financières, des années de prison politique et de misère littéraire… mais fort peu de grands voyages, maritimes, contrairement à ce qu’on pourrait croire. C’est sur l’océan de sa fantaisie qu’il navigua le plus volontiers, car il craignait le roulis qui lui causait  le mal de mer. Sans quitter son fauteuil il aimait, mieux inventer de lointaines aventures que de les vivre. 

« Si le commerçant a une famille, il prendra comme but de voyage le premier étage de sa maison, et n’ira jamais plus loin. » Parole fort imprévue de la part de l’homme qui avait écrit l’odyssée de Robinson Crusoë !

Celle-ci lui fut inspirée en 1712 par le récit d’un navigateur anglais, le capitaine Woodes Rogers, qui déclarait avoir recueilli à son bord le 2 février 1709 un matelot écossais nommé  Alexandre Selkirk, abandonné seul, depuis quatre ans et quatre mois, dans l’île déserte de Juan Fernandez où Más a Tierra , située en plein Océan Pacifique. 

Cet homme, ancien contremaître du navire les Cinque-Ports,avait été laissé là par représailles, en novembre 1704, à la suite d’une querelle avec son capitaine M. Stradling, qui ne badinait pas sur la discipline. robinson-crusoeL’infortuné Selkirk avait eu cependant la chance, dans son malheur, d’échapper au triste sort de ses camarades, qu’une voie d’eau avait contraints peu après de quitter le navire et de se réfugier sur la côte péruvienne, où presque tous, périrent de faim ou d’épuisement, tandis que le solitaire de l’île Juan Fernandez se tirait d’affaire de son mieux . 

Avant lui, un autre « Robinson » nommé Will avait séjourné trois ans dans les mêmes conditions à l’île Juan Fernandez, de 1681 à 1684.  

Defoe romança avec ingéniosité les éléments de ces deux histoires, et en 1719 il publiait non sans difficultés son Robinson Crusoë, refusé, d’abord par plusieurs libraires, et qu’il fut tout heureux de vendre enfin à un éditeur, pour la somme de 10 livres sterling. 

Il avait déjà fait paraître les Mémoires du capitaine Carleton, la Vie de Roxane, l’Histoire de Molly Flander, etc., pourtant, malgré l’immense succès qui accueillit cette oeuvre nouvelle, il mourut dans la misère. On l’enterra dans le cimetière de Bunhill Fields, où  l’on voit encore sa tombe, et où il fut enregistré par erreur sous le nom de Dubow. 

Après quoi Robinson Crusoë, payé 250 fr. à ce pauvre écrivain famélique, rapporta des millions aux libraires.

« Ric et Rac. » 1931.

Les workhouses à Londres

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luke-fildes

L’attention publique, depuis quelque temps, se porte en Angleterre sur les institutions destinées à secourir la classe indigente, qui, proportionnellement, forme une assez grande partie de la population de Londres, cette ville où l’extrême richesse et l’extrême misère se coudoient à chaque instant.

Un lord philanthrope, voulant voir et entendre par lui-même, a eu l’idée assez singulière de convoquer dans un meeting tous les jeunes balayeurs, décrotteurs et pickpockets, enfin tous ces enfants qui, pour se servir de l’expression anglaise, « ramassent leur vie dans les rues (who pick up their living in the street). » Après un repas substantiel de boeuf et de pudding, les jeunes convives furent questionnés par le noble lord lui-même sur leur manière de vivre. Il s’ensuivit des révélations curieuses et tristes, surtout de la part des pickpockets, qui, nous devons l’avouer, étaient en majorité dans l’assemblée.

Si, d’après les révélations faites tous les jours, l’intérieur d’un workhouse est chose hideuse, l’extérieur ne l’est pas moins à l’heure où les « casuals (indigents vagabonds) » attendent l’ouverture des portes de l’établissement où ils trouveront un lit un peu moins froid, mais peut-être aussi malpropre que les coins des bornes ou les arches des ponts. On cite souvent les mendiants de Naples et de Rome, mais comment trouver dans toute l’Europe une misère plus hideuse et plus repoussante qu’à Londres, où il n’y a point de soleil pour dorer un peu les haillons et les rendre pittoresques. A mesure que la nuit tombe, cette foule grossit, silencieuse et affamée, et les yeux fixés avec impatience sur la porte du workhouse. Un portier ou plutôt un geôlier bourru, ouvre la porte, et laisse entrer une partie de ces malheureux. Le reste, qui n’a pas eu la chance d’être admis, faute de place, est libre d’aller périr de froid et de faim, ainsi que le témoignent les rapports de police et les verdicts des coroners « died of exposure and hunger, (mort de froid et de faim !) » Ceux qui sont admis reçoivent une chétive portion de pain ou de bouillie de farine d’avoine bonne tout au plus pour des bestiaux, tout juste de quoi ne pas mourir d’inanition.

Le système français des bureaux de bienfaisance, a de nombreux partisans en Angleterre. Les Anglais payent des taxes énormes pour leurs pauvres et les voient néanmoins mourir de faim. Ils veulent savoir où va l’argent qu’ils donnent : c’est aux officiers et fonctionnaires qui sont chargés de distribuer les secours à leur donner des renseignements à ce sujet.

L. Victor Lesté. « La Revue-magasin. » Paris, 1887.

C’est toujours chez les pauvres gens…

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louis-XIVHélas ! très puissant roi Français, 
Nous pensons, si bien ravisais 
Et tu fusses bien conseillé, 
Qu’aucun pou nous épargnerais… 

Chantaient les misérables du pauvre commun. Examinons comment les très-puissants rois de France répondirent à cet appel, du quinzième siècle à la Révolution.

Sous Charles VI, misère horrible. Qu’y peut faire le roi Charles ? Armagnacs et Bourguignons se disputent la France. Les Anglais pillent et ravagent, Henri V saccage les villes, et pour affirmer son droit royal, il n’a pas de plus grande hâte que de rançonner ses nouveaux sujets, de mettre à mort qui se plaint, de doubler les impôts, de torturer les récalcitrants. La France était littéralement au pillage. Vainqueurs ou vaincus se faisaient un devoir de détruire les récoltes, les villages, partout où ils passaient. 

Que pouvaient faire les prolétaires dans cette lutte acharnée des ambitions ? Ils mouraient de faim, et, dit un historien, ils couraient les bois comme des bêtes fauves. 

Charles VII monte sur le trône de France : prince épicurien, se souciant fort peu de la misère d’autrui, il appelle les étrangers à sa défense, et demande de l’argent à son peuple. Ses favoris pillent ce qui restait à piller, et pendant ce temps, le roi continue à tenir une cour de gais favoris, et à enrichir, autant qu’il le pouvait, quelques courtisans. 

Il disait déjà le mot de Louis XV : Après moi, le déluge ! 

Que le peuple fût réduit à se cacher dans les cavernes pour échapper aux maraudeurs et aux assassins, que les prolétaires fussent trouvés épuisés de fatigue et de faim dans les fossés des routes, qu’importait au roi Charles VII ? Quand il avait besoin d’argent, il réunissait tout ce que ses capitaines pouvaient encore mettre sur pied de soudards et de reîtres, et jetait cette meute affamée sur les campagnes. Chose curieuse ! on trouvait encore à voler. Et ce roi était satisfait. Du reste, il faut le dire, les États généraux refusaient do se réunir et de sanctionner ces extorsions. 

Le peuple se faisait humble, petit, il ne résistait plus. Il  n’avait plus de point d’appui. La parole des prêtres le rabaissait de plus en plus dans sa misère, l’Imitation de Jésus-Christ semblait apparaître tout exprès pour lui faire de sa misère une gloire et un devoir : 

« Vous serez toujours misérables, où que vous soyez, et de quelque côté que vous vous tourniez, si vous ne vous tournez pas vers Dieu… C’est une véritable misère, de vivre sur la terre. Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler et se voir sujet aux autres nécessités de nature est certainement une grande misère et une affliction pour un homme pieux, qui voudrait bien ne dépendre en rien de la chair et être libre de la servitude du péché. » 

Et à ces voix, qui prêchaient le renoncement, le peuple répondait par son silence et sa soumission : il mourait sans rien dire. Que pouvait-on lui demander de plus ? 

Tout à coup, une illuminée se lève. Jeanne d’Arc… Que représente -t-elle ? D’où vient-elle, et quel est ce hasard étonnant ? Est-elle vraiment, comme l’ont chanté les poètes de l’histoire, la figure naïve et splendide du peuple, venant au secours de son souverain ? 

Pourquoi ce peuple aurait-il couru se ranger sous la bannière de Charles VII ? Quel bien en pouvait-il attendre ? Les Anglais étaient-ils donc plus terribles que les voleurs d’impôts, envoyés par le roi ? 

La venue de Jeanne fut toute spontanée, elle ne procédait d’aucun sentiment général, c’était une sorte de fée sortant tout à coup de l’inconnu. Et c’est par le charme même qui s’attache à l’inconnu qu’elle acquit aussitôt son prestige. 

Les grands s’étonnèrent, mais comme ils se sentaient faiblir, et qu’ils ne pouvaient attribuer leurs revers à leur propre inertie et à leurs désordres, ils furent bientôt disposés à accepter cette intervention comme divine. Certes, Dieu intervenait singulièrement, et sa prédilection pour la France se justifiait difficilement. Mais Charles VII et ses favoris n’eurent garde de discuter. 

Le peuple leva curieusement la tête. Peut-être supposait-il que dès que la France serait délivrée des Anglais, son sort deviendrait moins misérable ? En tout cas, un changement quelconque dans sa situation était préférable au statu quo. Mourir ou être sauvé, telles étaient les deux alternatives que posait la venue de Jeanne, et le peuple se reprit à espérer 

Quant au très-puissant roi de France, dès que Jeanne l’eut mené à Reims et qu’il eut été sacré, tandis que le peuple se prosternait sur le passage de la Pucelle, il se hâtait de l’abandonner, la laissait pendant six mois aux mains des Anglais, se vautrait dans des débauches que lui rendait plus agréables encore la puissance reconquise, se tournait quelquefois pour demander si son peuple se battait bien ou si Jeanne d’Arc vivait encore, discutait avec La Trémoille qui pillait le pays reconquis : le 30 mai 1431, Jeanne d’Arc était brûlée comme sorcière et relapse. 

Le peuple se sentait perdu, et Charles VII se plaignait de n’avoir plus d’argent. 

Quatre ans après, le traité d’Arras était signé. 

Charles VII était reconnu roi de France par Philippe de Bourgogne… 

Grand soulagement pour le peuple en vérité ! Les Anglais se lancent de nouveau sur la France, brûlent les villages, exterminent la population. Charles VII rentre dans Paris. Le voici redevenu très-puissant roi de France

Va-t-il écouter les plaintes du pauvre commun ? Certes, et voici comment : 

Charles VII altère les monnaies, les La Hire, les Chabannes, les Xaintrailles se regardent comme les maîtres de cette France rendue à leur maître. Comme ce bon roi ne peut assez leur prodiguer de richesses (il faut bien faire quelques économies), ils pillent les paysans, en disant : Il faut bien que nous vivions ! 

Les paysans d’Alsace ne furent pas suffisamment endurants et eurent l’audace de tuer les pillards. 

Quant au roi, « il ne tenait compte ni de la guerre, ni de son peuple, non plus que s’il fût prisonnier de Sarrasins. Il avait avec lui tant de larrons, que ces étrangers disaient qu’il était la source de tous les larrons de la chrétienté. » 

En 1437, il entre en triomphe dans Paris. Mais il se hâte de partir, laissant derrière lui la famine: cinquante mille personnes périrent de faim et de maladie. Charles VII avait de bien autres soins en tête, le pape l’occupait fort, et de ses soins assidus sortit la Pragmatique Sanction de Bourges, qui dispose : 

« Que les élections des prélats doivent être faites canoniquement, dans les églises cathédrales et collégiales, ainsi que dans les monastères. Que ceux auxquels appartient le droit d’élection se réuniront au jour fixé pour y procéder, et après avoir imploré le Saint-Esprit pour qu’il leur inspire un choix convenable, etc., etc. » 

Toutes mesures, on peut s’en convaincre, qui touchaient directement au problème de la misère. 

Cependant, le 2 novembre 1439, le roi daigna, sur les remontrances des États d’Orléans, rendre une ordonnance interdisant aux hommes de guerre le pillage et les exactions, le rançonnement des paysans et la destruction des récoltes. Mais par contre, le roi se réservait le droit de lever les impôts sans le concours des États, et organisait la taille sous laquelle devait plier et souffrir encore le pauvre commun

L’armée permanente fut organisée. Ce qui d’ailleurs fut d’abord un bien relatif , car routiers et reîtres disparurent. 

Mais c’était trop de soins pour le bon roi de France, et il continua de vivre luxurieusement et charnellement entre femmes mal renommées

Extrait : Jules Lermina. « Histoire de la misère, ou Le prolétariat à travers les âges. » 1869.

Une bonne âme

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Notre siècle n’est pas si athée ni si méchant qu’il en a l’air. Chaque fois qu’il y a une noble infortune à soulager, ne trouve-t-on pas M. le baron Taylor ? En organisant la loterie du Vase d’argent, il a eu pour but unique de tendre une main généreuse aux artistes malheureux. Cette loterie me remet en mémoire une simple histoire, bien touchante parce qu’elle est vraie. 

Un jour, une pauvre femme pâlie par la misère et les chagrins se présente chez M. le baron Taylor, tenant dans ses bras un petit enfant de trois mois. 

 Monsieur, lui dit la malheureuse mère en lui tendant la chère petite créature, je viens à vous parce que mon enfant a froid, que je suis trop malade pour l’allaiter, et qu’on m’a dit que jamais, jamais vous ne repoussiez le malheur. 

M. Taylor regarda la jeune femme. Elle avait une de ces physionomies douces et honnêtes qui inspirent l’intérêt. 

 Vous êtes veuve ? lui demanda-t-il avec bonté.
— Non, monsieur le baron, reprit la pauvre femme en pâlissant encore davantage et en baissant les yeux.
— Mais cet enfant a un père ?… 

Deux larmes glissèrent des yeux de la pauvre mère. 

 Voyons, mon enfant, ayez confiance en moi, dites-moi tout. A mon âge on est presque un confesseur. 

Alors la jeune femme lui raconta qu’elle avait été séduite et abandonnée par un homme marié. Cet homme était riche, qu’il ne voulait rien faire pour son enfant, qu’il savait pourtant bien être à lui. 

 Donnez-moi son nom, son adresse, je le verrai, dit l’excellent homme. Mais en attendant je ne puis garder ce petit enfant-là. Il faut le mettre en nourrice. Je m’en charge provisoirement. 

Le lendemain, le baron va trouver le père, lui parle de la pauvre abandonnée et du petit enfant avec des paroles remplies de bonté, d’indulgence et de délicatesse exquises. 

 Mais, Monsieur, je suis marié.
— Je le sais, aussi viens-je seulement vous prier de faire quelque chose pour ce pauvre petit, en payant ses mois de nourrice. 

Le père se récria, fit des objections et demanda combien il fallait donner par mois. 

— Trente francs, reprit M. le baron Taylor.
— Trente francs, c’est impossible. Je ne puis faire que vingt francs.
— Je vous remercie toujours pour si peu, dit le noble cœur, moi je ferai les dix autres francs. 

Et le baron s’en alla avec celle simplicité calme et digne des âmes qui sont habituées à faire le bien. 

Vicomtesse De Renneville. « La Lorgnette. » Bordeaux, 1855.

Un simple être humain

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Ancien SDF, Jean-Pierre, devenu agent immobilier, aide les plus démunis à se loger.

Famille difficile, environnement destructeur, Jean-Pierre Boudhar s’est battu toute sa vie. Aujourd’hui, cet homme à la tête d’Immoclef, qui regroupe six agences immobilières dans la région lilloise, aide les SDF à rebondir en les logeant à prix modique dans deux de ses immeubles.

La vie de Jean-Pierre Boudhar n’a pas toujours été facile…

Suite dans l’article de Aurélia Jakmakejian :

http://edito.seloger.com/actualites/france/ancien-sdf-jean-pierre-devenu-agent-immobilier-aide-les-plus-demunis-se-loger-article-15787.html?cmp=PA0180&typage=566983

 

 

L’anglais tel que le parlait Verlaine

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On sait que ce pauvre « Lillian » selon son nom poétique, ne connut jamais la fortune. Il connut même la pauvreté ; et pour lui, c’était presque de la richesse de n’être que dans la gêne.

Un jour, le pauvre garçon avait cependant voulu entrer dans la vie régulière. Il s’était présenté dans une maison d’éducation pour y chercher un emploi quel qu’il fût. On lui offrit d’être professeur d’anglais, parce qu’il avait habité quelque temps l’Angleterre. Or il n’en parlait pas mieux pour cela la langue ; car voici comment il s’efforçait de l’apprendre à ses élèves :

Il importe avant tout, leur disait-il, d’apprendre à bien prononcer. Aussi quand j’arriverai dans la classe vous me saluerez ainsi : « Bonjoueur Misteur Veurliéna… »

Cela amusait beaucoup les élèves, mais ne dura pas. On le renvoya à ces chères poésies, et il retomba dans la misère avec sa douce philosophie.

« Touche-à-tout. »  Paris, 1904.

Illustration :  « Paul Verlaine jeune homme » de Gustave Courbet