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Le roi des journaux

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william-hearstNous avons eu, raconte le Cri de Paris, deux rois en même temps à Paris, le tsar des Bulgares et le roi des journaux, William Hearst.

M. Hearst a 45 ans, et lui-même convient qu’il a le masque napoléonien. Mais il est beaucoup plus grand que Bonaparte. Il est le propriétaire, l’inspirateur et le directeur de seize grands journaux quotidiens, sans compter un nombre considérable de magazines. Les principales de ses gazettes sont, à New York, l’Evening Journal et The American dont le correspondant mondain à Paris est le marquis de Castellane.

M. Hearst n’est pas seulement un administrateur de journaux. C’est un polémiste et un homme politique. Adversaire résolu de M. Roosevelt, il fut son concurrent aux élections présidentielles.

Un jour, M. Hearst reçut la visite d’un gentleman correct qui lui dit :

Je viens de la part de M. Roosevelt. J’ai le devoir de vous déclarer qu’il vous considère comme le plus mauvais citoyen des Etats-Unis.

M. Hearst ne sourcilla pas. Mais le lendemain, M. Roosevelt reçut la visite d’un autre gentleman qui lui dit non moins correctement :

— M. Hearst me charge de vous faire savoir que vous êtes le plus grand farceur de la terre.

Cet échange de compliments ne contribua pas à réconcilier les deux adversaires.

« Nos lectures chez soi. » Paris, 1910.

Louis-Philippe dans son jardin

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On accuse aujourd’hui les journaux politiques de travestir les faits les plus simples dans l’intérêt de leur opinion, et, réellement, quand chacun d’eux a supprimé les détails qui le gênent, en mettant en relief les détails qui lui plaisent, le même fait, quoique vrai au fond, équivaut à un mensonge.

Ce reproche, qu’on adresse aux feuilles actuelles, n’est pas nouveau, et déjà, sous le règne de Louis-Philippe, on l’adressait à certains journaux qui trouvaient dans l’acte le plus insignifiant matière à critiques passionnées, à plaisanteries burlesques ou à louanges hyperboliques.

A cette époque, un lecteur assidu des feuilles politiques avait eu la fantaisie de rédiger divers articles sur un même thème, d’après l’opinion connue des journaux alors en vogue. Le thème choisi était celui-ci « Le roi Louis-Philippe s’est promené dans son jardin. »  Sur cette donnée, qui semble prêter fort peu à l’éloge ou au blâme, voici ce que des journaux de diverses couleurs étaient supposés dire :

Le journal d’opposition radicale :

L’homme funeste qui, contrairement au vœu du peuple, s’est emparé des rênes de l’État, a été vu se promenant dans son jardin. Et quel moment prend-il pour s’abandonner à cette honteuse et coupable oisiveté ? Le moment où l’Europe en armes est liguée contre nous, le moment où le peuple souffre, où le commerce agonise, où l’industrie est morte. Ah ! que voilà bien le chef de ces ventrus, de ces députés du juste-milieu, qui, semblables à des oiseaux de proie, se sont abattus sur notre malheureux pays !… France ! France ! on te trahit !… Aux armes ! L’heure est venue de vaincre ou de mourir !

Le journal satirique à images : 

Il avait la tête en poire et se promenait dans son jardin. Il regardait… que regardait-il ? Voler les mouches. Il entendait… qu’entendait-il ? Bourdonner les hannetons. Il sentait… que sentait-il ? Je n’en sais rien, mais ce n’était pas une odeur suave, s’il sentait l’œuvre de ses ministres. Tout en se promenant, il songeait… à quoi songeait-il ? A vider nos poches et à remplir les siennes. Tandis qu’il regardait, écoutait, sentait et songeait, une guêpe, qui rôdait par là, vit sa tête pointue et la prit pour une grosse poire juteuse. Elle s’élança, mais elle fut bien attrapée : ce n’était qu’une calebasse vide.

En revanche, le journal ministériel s’écriait sur un ton dithyrambique :

Notre roi populaire, l’homme providentiel qui a sauvé la France des fureurs de l’anarchie, a donné hier, à la ville et au monde, un spectacle merveilleux et touchant : il s’est promené dans son jardin. On se sentait pénétré d’admiration et de respect à voir ce souverain qui, après de longues et pénibles heures consacrées aux soins de l’État, se délassait un moment sous ses ombrages, en rêvant encore à la gloire et au bonheur des Français.

Nous ne voulons pas prolonger ce badinage,mais il y avait plusieurs autres journaux, de nuances intermédiaires, qui brodaient à leur façon sur ce canevas si peu politique. 

Les formes ont vieilli. Les hommes et les choses ont changé. Cependant, aujourd’hui encore, n’apprécie-t-on pas la plupart des faits comme on les appréciait au temps dont il s’agit ? Si nous voulions appliquer aux hommes actuels certains jugements des organes de la publicité. Mais ce terrain est trop brûlant pour nous… passons.

Elie Berthet. « Histoires des uns et des autres. » Paris, 1878.

Les morts qui vont trop vite

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Les nécrologies prématurées ne sont pas rares. Par ce temps de reportage à outrance, il est probable qu’elles se multiplieront. Il suffit de s’entendre et de considérer les nouvelles de la dernière heure comme étant simplement des nouvelles de l’avant-dernière…

Mark Twain connut les honneurs de l’oraison funèbre « anthume », comme disait Allais. Il écrivit à son Bossuet que la nouvelle de sa mort était un peu exagérée. Lord Brougham, lui, avait fait annoncer son décès, pour connaître l’opinion de ses contemporains à son sujet. Il fut déçu. Monseigneur Strossmayer, le célèbre prélat, félicité lui-même le correspondant de notre confrère Le Temps pour la très aimable nécrologie qu’il avait publiée sur lui. L’amiral Rodjestvensky, M. de Nelidoff furent enterrés deux mois trop tôt par les journaux anglais, y compris le Times.

Pareille mésaventure arriva récemment à un de nos plus spirituels doyens, Emile Blavet, qui put dire, lui aussi, avec le personnage de Corneille :

Les gens que vous tuez se portent assez bien !

« Excelsior : journal quotidien : informations, littérature, sciences, arts, sports, théâtre, élégances. »  Paris, 1910.
Illustration : Jean Hélion.

Dieu lui-même

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On avait lu devant la tsarine le manifeste, publié par les journaux, par lequel la Russie proclamait sa résolution de se libérer du régime tsariste. Et la tsarine, irritée, les yeux gonflés de larmes, se refusait à croire.

Je ne me fie qu’à l’Armée et ne redoute que Dieu, répétait-elle. Je méprise les perturbateurs et leurs gazettes vulgaires.

Puis s’adressant au grand-duc :

 — Je vous en prie, rappelez du front nos meilleurs régiments. L’armée nous est fidèle; le peuple nous appartient. Et si même ceux-là nous trahissaient, Dieu est avec nous, et il sauvera le trône.

Madame, répondit le grand-duc, Dieu lui-même adhère à la révolution.

« Le Carnet de la semaine. »  Paris, 1917.
Illustration : d’Issaak Brodski.

La circulaire de Courteline

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Voici un détail amusant sur la personnalité de Georges Courteline qui vient d’entrer à l’Académie Goncourt : Courteline ne répond jamais aux demandes d’enquête sur des questions littéraires, artistiques, politiques ou sur n’importe quel sujet, que lui adressent les revues ou les journaux, ou plutôt il y répond d’une façon originale. Il a fait imprimer des circulaires ainsi disposées :

Au coin de gauche, la mention suivante : « Cabinet de G. Courteline », puis, au-dessous, cette autre : « Centralisation des interviews. — N°… » et, enfin, le texte que voici :

Monsieur et cher confrère,

En réponse à votre lettre du……, par laquelle vous voulez bien me demander mon avis sur …….., j’ai l’honneur de vous informer que je m’en fous complètement.

Dans l’espoir que la présente vous trouvera de même, je vous prie d’agréer, Monsieur et cher confrère, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

Pour M. G. Courteline :
Le Centralisateur général,
Signé : (Illisible) 

Un de nos confrères hebdomadaires qui vient de recevoir cette circulaire imprévue n’en est pas encore revenu.

« La Revue limousine : revue régionale. »  Limoges, 1926.
Illustration :  Georges Courteline : photographie de presse. Agence Meurisse

« Menteur comme une gazette »

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Je crois bien que de tous les milliers de journaux qui se sont publiés en France, depuis le premier numéro du Journal des Savants, fondé en 1665 par un conseiller du parlement, pas un encore n’a fait mentir ce respectable écho de l’opinion publique sur la créance que méritent nos chroniqueurs et nos feuilletonistes.

A qui la faute ? Il y a des gens qui prétendent qu’elle est au lecteur, ou plutôt à l’abonné. « Il faut des nouvelles, disait, il y a quelques années, lors de la grande vogue du faits divers, un de nos plus spirituels journalistes; quand il n’y en a pas, il en faut faire. »

On n’est pas bien fixé sur l’étymologie du mot gazette. Quelques-uns croient qu’il vient du latin gaza dont on fait gazetta, ce qui signifie « petit trésor ». Mais ce n’est pas là l’avis de tout le monde. On a aussi expliqué l’origine de ce mot par le sens qu’il semble comporter : gazette, « feuille légère comme la gaze ». Enfin, il y a une troisième étymologie dont nous ne parlerons pas, parce que son authenticité ne nous paraît pas suffisamment établie.

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Quel est le peuple auquel on attribue l’invention des journaux ? On n’en sait rien. Quant à nous, nous sommes presque assuré que la gazette est née française. Cette invention-là porte le cachet de notre nation. Aucun peuple n’a dû penser avant nous à bavarder ainsi tout haut, à afficher ainsi au grand jour ses causeries familières, les bruits intimes qui courent du palais au salon, du salon au carrefour.

Sainte-Foix attribue l’origine des papiers-nouvelles (new’s papers, comme on dit en anglais) à un médecin nommé Renaudot, qui recueillait partout des nouvelles vraies ou controuvées pour charmer les soucis de ses malades, et qui eut l’esprit ensuite de tirer de ses cancans un parti plus avantageux en s’en occupant plus sérieusement.

Les Anglais, qui ne sont jamais les derniers à réclamer leur part de tout honneur, veulent absolument avoir inventé les gazettes. Personne n’a daigné encore le leur contester.

« Histoire anecdotique et morale des proverbes et dictons français. » Joséphine Amory de Langerack, Lille, 1883.