jour des Rois

 La dinde des Rois

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dinde

Pourquoi le vieil usage de servir une dinde rôtie le jour des Rois ? Ce fut, dit la chronique, le jour de l’Epiphanie que ce gallinacé d’élite l’ut savouré pour la première fois, en France, sur la table royale, non de Charles IX, mais de Louis XII. En embrochant la dinde de l’Epiphanie, ou célèbre, sans s’en douter, un grand anniversaire de conquête gastronomique. C’est à la fois une date mémorable pour la table et le poulailler. 

C’est au temps de la Renaissance que des moines portugais introduisent la pintade en France. C’est au commencement du XVIe siècle que des moines espagnols importent de l’Amérique du Nord le dindon en Europe. Sa domestication ne fut qu’un jeu, grâce a l’excellente nature de ce gallinacé qui semble né pour le tourne-broche. 

Si l’oie gauloise fut détrônée par le dindon américain, la vieille poule française conserva son immuable royauté, le sceptre des étables, la couronne des basses-cours. 

La bonté de sa chair acclame et distingue le dindon. Sa tenue est correcte et sympathique si l’on en excepte une pointe de vanité qui le pousse à faire la roue. Son gloussement pittoresque et familier n’a pas les éclats autoritaires des fanfares du coq qui semble avoir ramassé ses clairons sur les bords de la Garonne. 

Picorant dans les champs, sur la lisière des bois, le dindon demande peu de soins, peu de grains. On l’élève avec profit, on le nourrit sans peine. Il pèse lourd, coûte peu, se vend cher. Nos meilleurs dindons de France sont ceux du Berry, de la Touraine, de l’Anjou, du Périgord, surtout de la Vendée, où l’on rencontre des troupeaux de trois à quatre mille dindons, processions interminables qui ondulent et serpentent dans les champs ponctués de robes noires, égayés de gloussements sonores qui s’appellent, se répondent, se confondent, éclatent en notes jaillissantes et précipitées pour s’étendre, à l’horizon, dans on ne sait quel finale étrange et confus d’une mélopée lointaine qui s’éteint. 

Dans les vastes plaines de l’Ohio et du Mississippi, se rencontrent d’immenses troupes de dindons sauvages dont les gloussements font retentir les solitudes. Que de rôtis succulents perdus pour l’humanité ! Loin des truffes et des marrons du Périgord, ils picorent en sécurité et font la roue en paix. Ces dindons à l’allure vive et libre, au joli plumage blanc, roux, noir, café au lait, aux pattes infatigables et légères, sont la souche vénérable de nos dindons domestiques. 

Le dindon n’est pas, comme la pintade, rebelle aux charmes de l’étable et de la civilisation. Ce doux sauvage ne demande qu’à s’apprivoiser, qu’à venir émailler nos prairies et réjouir nos lèchefrites. Le dindon des forêts américaines se domestique si facilement, qu’il suit volontiers dans les fermes les dindons privés rencontrés à la promenade. En face des auges bien garnies, il semble dire dans un gloussement de satisfaction : « On est bien ici, restons-y ! » et il reste, il est mûr pour l’esclavage et la rôtissoire.

Pour un grain il a vendu sa liberté. Le voilà conquis aux honneurs de la civilisation et des casseroles.

« Le Chenil. » Paris, 1891.
Peinture : Frank Moss Bennett.

Le Code Denis

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grimm-diderot

En 1770, Grimm et Diderot furent invités à dîner, le jour des Rois, chez un particulier qui voulut faire honorablement les honneurs de cette fête.

Suivant l’usage antique et solennel, on sert en France, le jour des Rois, un gâteau qu’on partage en autant de parts qu’il y a de convives. C’est la plus jeune personne de la compagnie qui en fait la distribution; celui des convives qui reçoit la fève qu’on a cachée dans le gâteau est proclamé roi; et il est d’usage qu’il ne puisse boire sans une acclamation générale de toute la table.

La royauté étant tombée en partage à Diderot, il n’a pas voulu laisser languir ses sujets; il a publié ses lois successivement, pendant qu’on était à table; de sorte qu’avant de sortir et de déposer son sceptre, tous les devoirs de la législation se trouvèrent remplis par l’impromptu suivant :

CODE DENIS

Dans ses états, à tout ce qui respire
Un souverain prétend donner la loi.
C’est le contraire en mon empire;
Le sujet règne sur son roi.
Divise pour régner, la maxime est ancienne;
Elle fut d’un tyran : ce n’est donc pas la mienne.
Vous unir est mon vœu : j’aime la liberté;
Et si j’ai quelque volonté,
C’est que chacun fasse la sienne.
Amis qui compose ma cour,
Au dieu du vin rendez hommage,
Rendez hommage au dieu d’amour :
Aimez et buvez tour à tour.
Buvez pour aimer davantage.
Que j’entende, au gré du désir,
Et les éclats de l’allégresse,
Et l’accent doux de la tendresse,
Le choc du verre et le bruit du soupir.
Au frontispice de mon Code
Il est écrit : Sois heureux à ta mode;
Car tel est notre bon plaisir.

Fait l’an septante et mil sept cent,
Au petit Carrousel, en la cour de Marsan;
Assis près d’une femme aimable,
Le cœur nu sur la main, les coudes sur la table.
Signé Denis, sans terres ni château,
Roi par la grâce du gâteau.

Charles-Yves Cousin d’Avallon. »Grimmiana, ou Recueil des anecdotes, bons mots, plaisanteries de Grimm. »  Paris, 1813.