Jean de la Fontaine

La petite-fille de La Fontaine

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peder mork monstedIl existait en 1762, à Château-Thierry, une arrière-petite-fille de La Fontaine, connue dans toute la province par son amour pour l’étude et par ses dispositions prématurées.

Lorsque Mesdames, les filles de Louis XV, passèrent par cette ville, on leur présenta cette enfant, qui, âgée seulement de cinq ans, leur récita avec une grâce infinie la fable suivante, composée pour intéresser les illustres voyageuses au sort de la jeune infortunée, à l’existence de laquelle se rattachait un si grand souvenir :

Faible, abattu, cherchant un appui salutaire,
Un lierre desséché languissait sur la terre;
Il aperçoit un chêne audacieux
Dont le sommet se perdait dans les cieux.

Ce chêne répandait une ombre bienfaisante;
Les mortels fatigués des ardeurs du midi
Venaient y ranimer leur force languissante;
Les oiseaux, dans l’orage, y trouvaient un abri.
Le lierre, à cet aspect, reprend quelque courage,
De l’arbre hospitalier embrasse les contours;
Et bientôt étayé de son heureux secours,
Il voit croître sa tige et verdir son feuillage.

Je suis ce lierre abandonné;
Vous, cet arbre divin, utile, secourable :
Je vous ai peint mon sort infortuné,
Votre appui seul peut le rendre agréable.

« Almanach de la Champagne et de la Brie. » Troyes, 1853.
Peinture de Peder Mork Monsted.

Quelqu’un de bien

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corot

On a souvent parlé de la naïveté de Corot. Cette naïveté était réelle, et comme celle du bon La Fontaine, elle s’accompagnait de beaucoup d’humour et de génie. 

Corot avait un jour donné des conseils à un jeune peintre qui lui soumettait une de ses œuvres. Celui-ci, remerciant le maître, lui dit qu’il corrigerait son tableau le lendemain :

 Demain, mon jeune ami ? lui répond Corot avec une nuance de regret dans la voix. Vous voulez corriger cela demain ? Et si vous mouriez dans la nuit ? 

S’il se montrait affable et bienveillant pour tous, Corot avait cependant très peu d’amis intimes. Le bon paysagiste Daubigny était un de ceux-là, et surtout le grand et génial Daumier à qui il voua toujours le plus fraternel et le plus profond attachement. 

Corot était l’un des seuls à comprendre le génie âpre, puissant et tragique du peintre et du prodigieux lithographiste qui s’affirma dans l’Ecole française comme un héritier de Michel-Ange et de Rembrandt. Méconnu et pauvre, Daumier vécut très modestement les dernières années de son existence (laquelle s’était presque entièrement écoulée à Paris) dans une petite propriété qu’il avait louée à Valmondois. Devenu quasiment aveugle, le peintre- graveur à qui l’on devait les évocations âpres et vengeresses des  Emigrants et de la Rue Transnonain, se vit aux prises avec une détresse morale et matérielle affreuse. C’est ici que se situe l’anecdote charmante qui peint si bien Corot dans sa bonhomie et sa gentillesse inimitables.

Prévenu que Daumier était sur le point d’être expulsé par son propriétaire à qui il devait plusieurs termes, Corot imagina d’acheter sans bruit la petite maison de Valmondois, et adressa le billet suivant à son ami : 

« Mon vieux camarade, 
J’avais à Valmondois, près de l’Isle-Adam, une maisonnette dont je ne sais que faire. Il m’est venu à l’idée de te l’offrir, et comme j’ai trouvé l’idée bonne, je suis allé la faire enregistrer chez le notaire. Ce n’est pas pour toi que je fais ça, c’est pour embêter ton propriétaire. 
A toi, 
Corot. » 

Lorsqu’il apporta à Daumier le lendemain, les actes notariés, celui-ci ne put que répondre :

 Tu es le seul, Corot, de qui je puisse accepter un pareil cadeau sans me sentir humilié.

« Revue dominicaine. » Montréal, 1884. 

Le mystère des rêves

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Les rêves ont toujours éveillé la curiosité des hommes. A Delphes, dans l’ancienne Grèce, on endormait la Pythie au moyen de vapeurs méphitiques qui s’échappaient d’une ouverture naturelle et les paroles incohérentes de son cauchemar dictaient les décisions aux heures graves que traversait le pays. Cela, ni mieux ni pis qu’aujourd’hui. Depuis Joseph et Putiphar, les clefs des songes se sont disputé avec les tarots et le marc de café la faveur des foules. Les marchands d’espoir n’ont jamais été à la baisse.

Le sommeil n’est pas toujours une petite mort. Nous vivons parfois dans nos rêves une vie intense dont le réveil ne nous laisse généralement qu’un assez vague souvenir. Fantasmagories qui se déroulent avec la rapidité de l’éclair, les rêves qui nous paraissent les plus longs ont à peine duré quelques secondes. Ainsi que les vagues d’une mer tumultueuse, mille visions, sentiments ou souvenirs s’agitent plus ou moins incohérents lorsque cesse le contrôle de notre débandade d’écoliers affranchis de la surveillance du maître.

Et cependant, pour qui regarde bien, leur incohérence cache parfois une signification. Beaucoup de rêves sont liés à notre état de santé : une digestion pénible, une gêne circulative ou pulmonaire, la compression d’un membre, et voici notre sommeil agité de douloureux cauchemars. Nous rêvons d’un poids qui nous écrase la poitrine, d’un animal qui nous ronge un membre, ou bien nous sommes poursuivis par un danger que nos jambes se refusent à fuir. Ou encore nous nous balançons dans l’espace, nous faisons, une chute dont le choc nous réveille en sursaut. Les mêmes troubles de nos organes provoquent des images très comparables, comme si le rêve avait son langage symbolique.

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Les poisons ont leur cauchemar : l’alcoolique voit courir des rats, l’opiomane ramper des serpents. Les sorciers indiens du Mexique utilisent, pour certaines pratiques, une plante sacrée, le pavot, qui déroule devant les yeux émerveillés le plus étonnant mirage de couleurs. Il y a même des rêves annonciateurs de maladies et le docteur Allendy, dans son intéressant ouvrage sur le rêve, cite le cas d’une fillette qui rêvait qu’un étau lui serrait la tête quelques jours avant que sa méningite fût déclarée.

Tout n’est pas obscurité et incohérence dans nos songes. Il semble que parfois une intelligence supérieure préside à notre sommeil. Ne vous est-il pas arrivé de voir s’imposer le matin, en toute clarté, à votre esprit, la solution d’un problème que vous avez inutilement cherché la veille ? C est souvent dans un état de demi-conscience que l’inspiration se manifeste chez les artistes. Tous les poètes l’ont éprouvé et Jean de la Fontaine composa en rêve sa fable des Deux Pigeons. Il semble qu’en rentrant dans le repos du sommeil, notre intelligence nous ouvre la porte d’un monde mystérieux où se manifestent d’étranges possibilités.

Les somnambules accomplissent la nuit, à l’état de rêves, les actes les plus périlleux avec une précision étonnante.

Il y a de nombreux exemples rigoureusement contrôlés de personnes qui reçoivent pendant le sommeil l’avertissement d’un malheur. Une angoisse inconnue ou une hallucination les réveille à l’instant même où meurt un être qui leur est cher, comme si les fils invisibles qui les reliaient étaient brusquement rompus. Certains médiums possèdent, à l’état de sommeil, la faculté de voir et de sentir à distance, et bien d’autres puissances qui échappent encore à la psychologie officielle.

Docteur Bertrand. « L’Union de Limoges. » 1928. 
Peinture : Battista Dossi, Allégorie de la Nuit.
Peinture : William Blake, The Night of Enitharmon’s Joy.

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La fourmi et la cigale

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Essayons de réhabiliter la chanteuse calomniée par la fable. En juillet, aux heures étouffantes de l’après-midi, lorsque la plèbe insecte, exténuée de soif, erre cherchant en vain à se désaltérer sur les fleurs fanées, taries, la cigale se rit de la disette générale.

Avec son rostre, fine vrille, elle met en perce une pièce de sa cave inépuisable. Etablie, toujours chantant, sur un rameau d’arbuste, elle fore l’écorce ferme et lisse que gonfle une sève mûrie par le soleil. Le suçoir avant plonge par le trou de bonde, délicieusement elle s’abreuve, immobile, recueillie, tout entière aux charmes du sirop et de la chanson. 

Surveillons-la quelque temps. Nous assisterons peut-être à des misères inattendues. De nombreux assoiffés rôdent, en effet. Ils découvrent le puits que trahit un suintement sur la margelle. Ils accourent, d’abord avec quelque réserve, se bornant à lécher la liqueur extravasée… Puis, les convoitises s’exacerbent : les réservés deviennent turbulents, agresseurs, disposés à chasser de la source le puisatier qui l’a fait jaillir. En ce coup de bandits, les plus opiniâtres sont les fourmis. J’en ai vu mordiller la cigale au bout des pattes. J’en ai surpris lui tirant le bout de l’aile, lui grimpant sur le dos, lui chatouillant l’antenne. Une audacieuse s’est permis, sous mes yeux, de lui saisir le suçoir, s’efforçant de l’extraire. Ainsi tracassé par ces nains et à bout de patience, le géant finit par abandonner le puits. Il fuit… 

On le voit : la réalité intervertit à fond les rôles imaginés par la fable. Le quémandeur sans délicatesse, ne reculant pas devant le rapt, c’est la fourmi. L’artisan industrieux, partageant volontiers avec qui souffre, c’est la cigale. 

J.-H. Fabre. « Mœurs des insectes. » 1911.

De ces écrivains qui écrivent

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ecrivain

Ces jours ci, dans une vente d’autographes à la Haye, on a mis aux enchères un fragment manuscrit des mémoires de lord Melbourne, un des premiers ministres de la reine Victoria. Comment ces cahiers avaient-ils échoué là ? Ils contenaient de curieux souvenirs sur le réformateur Thom, qui, en 1838, se présentait comme un second Messie et fut tué à Canterbury par les soldats qu’il avait voulu convertir en leur disant qu’il venait régénérer le monde.

Ces notes étaient écrites sur un singulier papier, veiné de marbrures, dont la contexture enveloppait comme d’un réseau les armes de sa maison, imprimées en or. Chaque feuille présentait les mêmes dessins. C’était une luxueuse fantaisie de grand seigneur.

Les simples écrivains, qui ne peuvent point se permettre un tel papier pour faire leur  « copie », ont souvent, eux aussi, leurs manies, en ce qui concerne l’encre, les plumes, les feuillets dont ils se servent. Il en est qui ne peuvent écrire que sur du papier de couleur, et il faut voir la gravité plaisante avec laquelle ils recommandent à leur papetier (devenu leur confident) la teinte et la configuration des feuilles qu’ils vont remplir.

Les uns, l’habitude venant, ne travaillent à leur aise qu’en voyant sous leurs doigts un papier gigantesque. C’est le cas d’un de nos plus illustres auteurs dramatiques. Le plus délicat, le plus subtil de nos romanciers, au contraire, se sert de feuilles à peine grandes comme des feuilles de carnet de poche.

Au reste, ces manies, ces habitudes de travail, on peut les relever dans tous les temps.

Le manuscrit des Pensées de Pascal porte aux marges une foule de petits dessins, enchevêtrements de lignes brouillées, figures quasi cabalistiques. Les commentateurs ont fait sur ces signes mystérieux des suppositions à perte de vue. Le philosophe Cousin en a parlé avec respect. Or, on sait que le livre de Pascal a été écrit par pièces et par morceaux, sans aucune suite, et que, d’une pensée à l’autre, il y a tout un monde d’idées.

Les signes en question étaient donc tout bonnement, à n’en pas douter, des agaceries inconscientes de la plume, semblables à celles que trace un enfant sur un coin de son cahier, lorsqu’il est arrêté par une difficulté de son devoir. Ils avaient fini par devenir au bout de la plume du grand penseur une habitude invétérée.

La Fontaine, le bon fabuliste, composait ses vers couché tout de son long sur l’herbe d’un pré, le long d’un ruisseau, et n’écrivait (matériellement) qu’avec répugnance.

C’est un souvenir classique que Buffon se mettait en toilette de cérémonie pour travailler : il lui fallait un jabot et des manchettes de dentelle pour qu’il pût parler des moeurs des animaux.

Leibnitz, lui, trouvait les meilleurs arguments de sa dialectique en donnant à manger à des araignées : il ne se mettait à sa table que lorsqu’il avait fait, au préalable, une hécatombe de mouches.

Théophile Gautier était fort exigeant en ce qui regardait ses plumes. Tant qu’il n’en trouvait pas une glissant à son gré, il demeurait agacé. Aussi, avant de se mettre sérieusement au travail, essayait-il la plume en traçant mille dessins. Il lui arrivait même, dans cet le occupation toute matérielle, de jeter sur le papier des vers bizarres, sans y penser. On a recueilli ceux-ci, par exemple :

Un bon coupeur de plume est égal aux dieux même !

Essayons celle-ci, différemment taillée,

Mais elle est vainement avec art travaillée.

M. Alexandre Dumas fils a écrit, un jour, une page charmante sur ce sujet :

« L’écrivain, dit-il, a ses exigences, ses habitudes, ses manies. Il lui faut, pour écrire avec conscience et liberté, avoir arrondi autour de sa table tous les angles de sa vie. Il faut que la chambre où il se met à l’oeuvre soit chauffée d’un travail précédent. »

De fait, ces petites habitudes s’expliquent; elles aident au travail de l’esprit, par l’absence de toute nouveauté matérielle qui puisse suspendre la main et arrêter un instant la pensée.

Il y aurait un curieux chapitre d’étude littéraire à écrire avec l’histoire de toutes ces manies. Parfois, elles ne laissent pas d’éclairer un peu plus le caractère même de l’écrivain.

« La Revue des journaux et des livres. »  Paris, 1887.
Illustration : Orléans, fêtes de Jeanne d’Arc. « L’écrivain et la bouquetière. » Agence Rol, 1912.

Grosse déception

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J’avais eu un si grand plaisir à lire les fables d’Esope mises en vers par La Fontaine, que cet ouvrage, écrit avec tant de finesse, de charme, me fit naître l’envie de connaître l’auteur.

Trois de mes amis se prêtèrent à la chose par le moyen d’un quatrième qui fréquentait cet homme rare. Nous l’attirâmes dans un petit coin de la ville, dans une maison consacrée aux Muses, où nous lui donnâmes un repas, pour avoir l’avantage de son agréable conversation. Il ne se fit point prier, et vint à l’heure dite. La compagnie était bonne, la table propre et délicate et le buffet bien garni. Point de compliments d’entrée, nulle façon, nulle grimace ni contrainte.

La Fontaine garda le silence, mangea comme quatre et but de même.

On ne s’était point étonné qu’il ne parlât pas en mangeant et buvant ainsi. Mais le repas fini, on commença à souhaiter de l’entendre. Il s’endormit. Après trois grands quarts d’heure de sommeil, il revint à lui. Il voulut s’excuser sur ce qu’il était fatigué. On lui dit que cela ne valait point d’excuse; que tout ce qu’il faisait était bien fait. On s’approcha de lui, pour le mettre en humeur de laisser voir son esprit.

Mais son esprit ne se montra point. Il semblait être on ne sait où.

Peut-être animait-il quelque grenouille dans un marais, quelque cigale sur un arbre, ou quelque renard dans sa tanière. Toujours est-il que tant que La Fontaine demeura avec nous, il ne nous parût être qu’une machine sans âme. On le jeta dans un carrosse, et nous lui dîmes adieu pour toujours. Jamais gens ne furent plus surpris.

Comment se peut-il faire, nous disions-nous, qu’un homme qui a su rendre si spirituelles les plus grosses bêtes du monde, et leur faire parler le plus joli langage qu’on puisse entendre, ait une conversation si sèche, si nulle, ou plutôt n’en ait pas du tout…  Et comme on dit, nous y perdions notre latin. Voilà ce qu’était La Fontaine : moins qu’homme avec les hommes, plus qu’homme avec les bêtes.

Vigneul-Marville. 1634-1704.