Jean-Baptiste Colbert

Le mouvement perpétuel  résolu par un forçat 

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Parmi les nombreuses curiosités qui attirent l’attention du visiteur de l’arsenal de Rochefort-sur-Mer, il en est une qui mérite une mention spéciale en raison de son caractère digne de fixer l’intérêt dès amateurs de Merveilleux Scientifique.

Avec la quadrature du cercle, le mouvement perpétuel est le problème qui, depuis longtemps, hanta le cerveau des chercheurs. L’Académie des Sciences, fatiguée par les nombreux rapports émanant de fous ou d’utopistes sur ces deux questions, a résolu, peut-être un peu légèrement, de ne faire aucun cas des travaux traitant ces deux questions.

Pourtant, il est probable que le problème fut au moins une fois résolu en ce qui concerne le mouvement perpétuel par un de ces hommes retranchés pour leurs forfaits de la société, par le forçat François Dubois.

A Rochefort, vers 1840, dans les bâtiments construits sous les ordres de Colbert pour servir de bagne, étaient internés de nombreux forçats dont l’adresse manuelle faisait de vrais artistes.Exemptés, des travaux dits de grande fatigue, ces artisans utilisaient leurs loisirs forcés à confectionner soit des appareils de précision pour la marine, soit des plans ou réductions de machines, ou encore des objets de fantaisie d’autant plus intéressants que les instruments rudimentaires mis à leur disposition ne nuisaient en rien au fini de l’oeuvre. 

Parmi les prisonniers, un ancien horloger condamné aux travaux forcés à perpétuité construisit une horloge tout en cuivre, dont la particularité était, disait-il, de ne jamais s’arrêter une fois mise en marche, sauf par usure ou encrassement des organes. L’horloge, par sa marche ,ayant confirmé les dires de son auteur, on promit la grâce, à ce dernier si ladite horloge ne s’arrêtait pas avant dix ans.

Pendant huit ans, la machine étroitement surveillée marcha sans arrêt, mais, hélas, le mauvais démon qui avait mené son inventeur en prison le tenta de nouveau. Il fut surpris fabriquant au bagne même de la fausse monnaie. La loi était formelle : c’était la mort.

Le malheureux fut donc jugé et pendu.

Certain du châtiment qui l’attendait, le criminel put, nous ne savons comment, mettre la main sur son horloge. Quelques coups de lime, un organe soustrait, et l’âme du merveilleux instrument s’envola : la machine s’arrêta.

En vain les meilleurs techniciens et praticiens s’essayèrent à faire revivre le mécanisme : ce fut inutile. Maintenant l’horloge muette n’est plus qu’un objet de musée. Son inventeur, né peut-être pour révolutionner la mécanique, a disparu dans l’ignominie, ne laissant pas plus de traces que le bâton d’Archimède n’en laissa sur le sable lorsque l’antique savant fut interrompu par la main d’une brute au milieu d’un problème dont la solution eût peut-être doublé la fortune du vainqueur de Syracuse.

« L’Écho du merveilleux. » Paris, 1914.
La véritable histoire de la pendule du Forçat François Dubois
: criminocorpus.

Un ministre incorruptible ?

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colbert

Une compagnie de traitants vint un jour proposer à Colbert une grande entreprise « dans l’intérêt de l’État », et lui laissa entendre qu’il aurait sa part dans les bénéfices.

Fort bien, messieurs, répondit le ministre, mais, si je partage avec vous, comment pourrai-je vous faire pendre ?

Vieille connaissance

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Henri-Testelin

Jean-Baptiste Colbert, étant jeune, fut mis en pension pendant deux ans chez un procureur au Châtelet appelé Biterne. Le procureur avait une jolie fille, appelée Barbe. On l’appelait dans la maison dame Barbe. Elle fut mariée avec M. Colletet, autre procureur au Châtelet. Elle allait souper chez son père tous les dimanche et fêtes, et après souper, on la ramenait chez son mari. C’était ordinairement M. Colbert qui lui faisait cet office, lequel avait quelque inclination pour elle.

M. Colbert ayant ensuite passé par divers emplois, et étant enfin devenu ministre d’État, ayant le département des finances, dame Barbe maria une de ses filles a un homme qui avait à solliciter chez le Roi (Louis XIV) un remboursement de quinze à seize mille livres. On voulut obliger dame Barbe d’employer son crédit auprès de M. Colbert pour avoir ce remboursement. Elle ne voulait pas le faire, prétendant que M. Colbert qui était un marmot lorsqu’il était en pension chez son père, ne se souviendrait pas d’elle, ayant vu tant d’autres affaires depuis. Mais enfin elle y consentit, et lui alla présenter un placet.

Toutes les fois qu’elle se présentait devant lui à l’audience, M. Colbert se tournait de l’autre côté et la rebutait par ce moyen. Enfin l’audience étant finie, et ne restant plus que dame Barbe à expédier, M. Colbert se voyant seul avec elle, mettant ses deux mains à ses côtés, lui dit : 

Hé quoi ! dame Barbe; est-ce que vous croyez que je ne vous connois pas ? Pensiez-vous que je  voulois me fermer à votre souvenir ?

Il lui demanda comment elle se portait, voulut savoir l’état de toute sa famille, et prenant ensuite son placet avec les pièces y attachées, il lui promit de faire ce qui dépendrait de lui pour lui donner satisfaction. Quatre ou cinq jours après, il envoya à dame Barbe un arrêt du Conseil qui ordonnait le remboursement de la somme demandée, et une ordonnance de comptant au trésor royal.

Dame Barbe, autrement Madame Colletet, vit encore. Elle demeure à Paris dans le cloître Saint-Benoist avec son fils qui y est chanoine…

« Revue nobiliaire, héraldique et biographique. »  Paris, 1865.
Illustration : « Colbert présente à Louis XIV les membres de l’Académie Royale des Sciences créée en 1667. » Peinture de Henri Testelin.

 

Aymar le sorcier

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sorcier

Les merveilleux exploits de Jacques Aymar ont passionné la France pendant plusieurs mois ; la puissance de sa baguette a ensorcelé la plupart de ses contemporains. Considéré par le peuple ignorant à l’égal d’un dieu, il a vu sa vertu divinatrice discutée par les académies savantes. Un groupe de philosophes imagina à son occasion le système des corpuscules et des émanations ; son histoire a été écrite de son vivant ; il survécut à sa ruine, que raconte Baluze d’un ton railleur.

Fils de paysans du Dauphiné, Aymar s’était fait connaître à Grenoble, en découvrant, à l’aide de sa baguette de coudrier, les sources, les métaux précieux enfouis dans le sol, les voleurs et les assassins. Une occasion favorable allait bientôt rendre son nom fameux dans tout le royaume.

Le 5 juillet 1692, un marchand de vin et sa femme furent assassinés dans la cave de la maison qu’ils habitaient à Lyon. Le vol était le mobile du crime : la caisse de leur comptoir avait été fracturée. Aucun indice ne décelait les coupables. On eut recours au sorcier Jacques Aymar.

Conduit par le lieutenant criminel et le procureur du roi dans la cave où l’on avait trouvé les cadavres, le devin y prit son impression. La baguette, qu’il tenait à la main, se mit à tourner vivement à l’endroit où les victimes avaient été relevées. Par ses soubresauts, elle indiquait l’existence de trois complices. Se laissant diriger par la verge de coudrier, Aymar suivit, à travers les rues de Lyon, la piste des coupables; il sortit de la ville, descendit le Rhône, signala plusieurs maisons où les assassins s’étaient arrêtés, Les habitants de ces fermes dirent, en effet, que le lendemain du crime trois inconnus s’étaient attablés chez eux. La piste se perdant dans le sable au bord de l’eau, Aymar pensa que les criminels s’étaient embarqués. Il monta lui-même en bateau, arriva à Beaucaire. Sa baguette le conduisit à la prison. Il appliqua sur tous les détenus le bâton magique qui tourna rapidement sur un petit bossu écroué depuis la veille pour un vol insignifiant. Aymar affirma que le bossu était un des auteurs du crime de Lyon. Interrogé par les magistrats qui avaient accompagné le sorcier, le prisonnier repoussa énergiquement l’accusation. On le ramena à Lyon, par la route qu’avait désignée la baguette.

Chemin faisant, reconnu par les gens chez lesquels il s’était arrêté, il avoua qu’il avait aidé ses deux complices dans la perpétration du crime. Aymar se mit à la poursuite des deux autres coupables. Mais sa baguette l’ayant mené jusqu’à la frontière italienne, il dut revenir sur ses pas. Son retour à Lyon fut un triomphe. Le 30 août 1692, le bossu, condamné à être rompu vif, expiait son crime sur la place des Terreaux.

Cet événement merveilleux eut un grand retentissement. La verge d’Aaron et celle de Moïse parurent de beaucoup distancées ; les baguettes de Minerve et de Circé, le caducée de Mercure, les bâtons sacrés des augures n’avaient jamais produit de plus étonnants prodiges ; la baguette divinatoire des alchimistes du moyen-âge n’était qu’un jouet d’enfant auprès de celle du sorcier Aymar. Les ardentes controverses que soulevèrent, à une époque rapprochée de nous, le baquet de Mesmer, les esprits frappeurs et les tables tournantes, ne sauraient donner une idée de l’agitation qui suivit la découverte de l’assassin de Lyon.

jacques-aymarM. de Vanigny, procureur du roi, qui avait utilisé dans l’affaire la science de Jacques aymar, publia une relation intitulée : Histoire merveilleuse d’un maçon qui, conduit par la baguette divinatoire, a suivi un meurtrier pendant quarante-cinq heures sur la terre et plus de trente heures sur l’eau. Ce mémoire servit de thème à une nouvelle publication qui parut bientôt avec ce titre : Récit de ce que Jacques Aymar a fait pour la découverte du meurtrier de Lyon, dressé sur le procès-verbal du procureur du roi de Lyon, M. de Vanini. La narration du fait devait conduire à sa discussion scientifique ; deux médecins en étudièrent les détails et en cherchèrent l’explication, dans les ouvrages suivants imprimés à Lyon en 1692 :

1 ° Lettre à Madame la marquise de Senozan, sur les moyens dont on s’est servi pour découvrir les complices d’un assassinat commis à Lyon le 5 juillet 1692, par M’. Chauvin, docteur en médecine; — 2° Dissertation physique en forme de lettre à Monsieur de Sèves, seigneur de Fléchères, sur Jacques Aymar, par Pierre Garnier, docteur en médecine de l’université de Montpellier.

En réponse au P. Lebrun, de l’Oratoire, et à Mallebranche, qui ne voyaient dans le sorcier qu’un suppôt de Satan, un groupe de philosophes attribua les propriétés de sa baguette à des émanations s’échappant des fontaines, des métaux, du corps humain.
Aymar voyait son renom grandir au bruit de cette querelle.

Il fut mandé à Paris par Henri-Jules de Bourbon-Condé. fils du grand Condé, qui l’installa dans son hôtel et soumit à l’épreuve sa puissance divinatrice. L’abbé de Vallemont raconte, dans sa Physique occulte, qu’il n’a cessé d’observer le sorcier pendant son séjour chez le prince, et qu’il est demeuré convaincu de son pouvoir.

Cependant, la fortune d’Aymar touchait à son déclin. Surveillée de près, sa baguette ne faisait plus de prodiges ; elle ne tournait pas sur les sources cachées ; l’or enfoui ne lui donnait aucun soubresaut; la piste des voleurs et des assassins était impuissante à l’agiter.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, neveu du célèbre ministre de Louis XIV, suivait attentivement les expériences. Une des épreuves, auxquelles il soumit Jacques Aymar, est racontée dans l’Architecture hydraulique de Bélidor; elle n’eut pas plus de succès que les autres. Etienne Baluze, qui, après la mort de Colbert, était resté très attaché au marquis de Torcy, observa avec intérêt les manoeuvres du sorcier, et rendit compte de sa déconvenue à un neveu par alliance, M. Melon Duverdier, conseiller du roi au présidial de Tulle, dans une lettre d’où nous détachons le passage suivant : 

« A Paris, le 7 mars 1693.
Jaques Aymar et sa baguette ont perdu ici leur réputation. Mercredy de la semaine avant celle-cy il y eut un homme tué de 18 ou 20 coups d’espée dans la rue Saint-Denys. M. le Prince, qui a Jaques Aymar chez luy, envoya prier M. le procureur du Roy de faire l’essay de la vertu de la baguette en cette occasion. Ce qui fut fait. Il passa deux fois sur le sang, où il y avait asseurément bien des corpuscules, puisque la chose estoit toute fraische. Cependant il n’y vit que de l’eau claire. M. le procureur du Roy le mena ensuite par les rues où les meurtriers avoient passé, et enfin dans la rue où ils estoient. Car des mouchards les avoient suivis, et on sçavoit où ils estoient. Ce que Jaques Aymar ne sceut jamais deviner. M. le Prince, M. le prince de Conty, M. le duc de Roquelaure et autres y estoient présents. Je ne sçay pas comment les philosophes de Lyon expliqueront cela. Mais on dit ici que Jaques Aymar s’excuse sur ce que ce n’estoit pas un assassinat, mais une rencontre. Meschante excuse, à mon avis, qui ne sçais rien de la philosophie des corpuscules. »

sourcierSi l’habile sorcier défendait avec énergie la puissance de sa baguette, ses nombreux partisans étaient disposés à accepter de lui la plus futile des excuses. La verge divinatoire avait ses croyants que rien ne rebutait ; elle comptait, en province comme à Paris, des prosélytes prêts à fermer les yeux sur ses défaillances et à imaginer des hauts faits qu’elle n’avait jamais accomplis.
Le 21 mars 1693, Baluze écrivait à ce sujet à son neveu Duverdier :

« Mon frère me charge de vous remercier de sa part de la peine que vous avez prise de lui escrire au suject de la charge d’advocat du Roy. Et sur ce que je luy avois escrit l’avanture arrivée à Paris à Jaques Aymar dans la rue Saint-Denys, dont il avoit fait lecture à M. de Lagarde, il m’escrit que M. Lagarde luy a respondu qu’il y a des jours auxquels un bon chien de chasse ne sçait ou ne peut chasser, et que ledit Jaques Aymar ayant esté mené à la bibliothèque du Roy, il a descouvert quantité de pièces d’or et d’argent que plusieurs personnes curieuses avaient caché dans divers volumes pour expérimenter son sçavoir faire. Ce qui est très faux, car il n’a pas esté une seule petite fois à la bibliothèque du Roy. » 

Quand le prince de Condé eut démasqué l’impuissance, de la baguette divinatoire, il fit proclamer le résultat de ses épreuves. Aymar, convaincu d’imposture, dut quitter Paris. Baluze, qui raconte ce départ piteux, nous apprend que le sorcier avait fait école; il écrit, le 28 mars 1693, à M. Duverdier :

« Jaques Aymar s’en est retourné mescontent de Paris, à ce qu’on dit. On a imprimé depuis peu à Paris un gros livre in-12 pour justifier sa vertu occulte pour descouvrir les meurtriers et choses volées. A la fin on adjoute que M. Geoffroy, ancien eschevin de Paris, — c’est un apothicaire, — a chez luy un garçon qui, sans baguette, par le seul mouvement de la nature, descouvre l’or et l’argent, et qu’il en a fait plusieurs expériences. Il est vray qu’il en a fait à la bibliothèque du Roy. Mais il y a aujourd’huy trois semaines qu’il y eut à la bibliothèque du Roy un grand concours de curieux pour luy voir faire une semblable expérience. Mais M. l’abbé Galloys s’y trouva malheureusement pour luy. Car il prit luy- mesme le soin d’enfouir dans la terre dix louis d’or sans que personne peut apercevoir où il les mettoit. En suite il appelle le devineur, qui devina qu’ils estoient où ils n’estoient pas, et ne peut pas deviner où ils estoient, quoyqu’il passa plusieurs fois par dessus. Il se fait bien des tours de passe-passe en ces occasions lorsqu’il n’y a pas des gens faits comme M. l’abbé Galloys. »

L’élève n’avait pas été plus heureux que le maître. Mais Jacques Aymar, chassé de Paris, retrouva à Lyon une partie de son crédit. Brossettes, ami de Boileau, racontait au poète, dans une lettre du 25 septembre 1706, une entrevue qu’il avait eue avec le fameux devin, et lui parlait en termes enthousiastes de la vertu de sa baguette. Boileau lui répondit qu’il s’étonnait de le voir prendre au sérieux de pareilles puérilités.

Sur la fin de ses jours, un triste rôle était réservé au sorcier dauphinois. Employé dans la guerre des Camisards, il signalait au maréchal de Montrevel et à l’intendant Bâville les protestants qui devaient être mis à mort. Tous les prisonniers, sur lesquels tournait sa verge de coudrier, étaient immédiatement égorgés. La baguette divinatoire devint un odieux moyen de dénonciation au service des haines politiques et religieuses.

« Le Feu follet. »   Paris, 1880