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Mort d’un grand meurtrier 

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Au milieu du bruit des meurtres dont la chronique retentit chaque jour, s’est éteint doucement un vieillard de quatre-vingt-six ans, qui n’employa sa longue existence qu’à tuer sans cesse, qu’à tuer toujours. En chiffrant à cent mille le nombre de ses victimes, on resterait certainement au-dessous de la vérité. 

Quel est donc ce sinistre vieillard ? va-t-on s’écrier. Comment se fait-il que, sans encombrement, il ait pu poursuivre, pendant près d’un siècle, le cours de ses funèbres exploits ? La réponse est simple : Auguste Chevrolat, dont il est ici question, était un entomologiste, et il s’est borné à tuer des insectes, créatures de Dieu que les lois humaines n’ont pas encore songé à protéger. 

Tout le monde sait ce qu’est un entomologiste : en général, c’est un bon bourgeois, à mœurs paisibles et douces, qui passe son temps à courir les guérets et les bois, à soulever les pierres, à taper sur les haies avec une canne et à recueillir ce qui tombe dans un parapluie renversé, à inspecter les cadavres des chiens, des chats, des rats et des taupes, à fouiller les excréments des animaux, toutes besognes plus ou moins agréables, qu’il accomplit avec conscience, et qui lui permettent de recueillir un grand nombre d’insectes qu’il fourre au fur et à mesure dans des flacons asphyxiants. Puis, rentré chez lui, il passe en revue ses richesses. Il embroche avec de longues épingles les insectes capturés, les étudie à la loupe et détermine leurs noms en compulsant de volumineux bouquins écrits en latin dont la barbarie égale la cuisine. 

Les insectes, une fois déterminés, prennent place dans les cartons de la collection et sont accompagnés d’étiquettes portant, en écriture moulée, les noms de famille, de genre, d’espèce, etc. 

Chevrolat était plus qu’un vulgaire collectionneur. Il s’était surtout adonné à la partie scientifique de l’entomologie. Dès sa jeunesse, faisant sa spécialité des coléoptères, il devint l’élève et l’émule du général Dejean. Ce dernier, vaillant soldat du premier Empire, fut, sans contredit, le plus grand des coléoptéristes. Sa passion pour les bêtes à élytres fut si grande qu’il lui arriva souvent, sur le champ de bataille, de cueillir au passage plus d’un bousier égaré au milieu des balles et des boulets. Dejean publia en 1837 le catalogue de sa collection, respectable volume in-80 de 500 pages. A sa mort, le British Museum acquit sa collection pour le prix fabuleux de cent mille francs. 

Chevrolat continua la digne tradition de son maître. Le nombre des insectes dont il a fait la description est immense. Beaucoup de coléoptères portent son nom, de telle sorte qu’on peut dire que, si les ailes des insectes sont pareilles à celles de la renommée, aucun nom ne sera plus souvent répété par les générations futures. Il a aussi réuni de magnifiques collections. Pour en donner idée, il suffit de dire qu’il vendit, aux Anglais, une seule famille, celle des chrysomèles, pour la jolie somme de 20,000 francs. La collection la plus remarquable qu’il laisse est celle des charançons du monde entier. Elle est certainement unique et comprend plus de 30,000 espèces. 

Quand on vendra toutes les « collections Chevrolat », l’hôtel des commissaires-priseurs retentira de formidables enchères. 

Nous avons eu l’occasion de faire la connaissance du savant entomologiste. C’était un homme excellent, qui ne pouvait qu’être aimé de tous ceux qui l’approchaient. Les jeunes naturalistes (la jeunesse ne respecte rien) le surnommaient le père Chocolat. La bonté et la douceur du bonhomme n’y contredisaient pas. 

Il habitait, rue Fontaine-Saint-Georges, un modeste entre-sol dont toutes les pièces étaient tapissées de bas en haut de cartons d’insectes. Le cabinet de travail renfermait les charançons. La salle à manger, les carabes. La chambre à coucher, les longicornes. Cela ne sentait pas trop mauvais, seule, l’odeur de l’acide phénique, mélangée à celle du   cyanure de potassium, vous saisissait à la gorge. 

Notre savant était un ancien fonctionnaire de l’Hôtel de ville de Paris, et l’amour des insectes lui fit un peu de tort pour sa carrière. Il n’éprouva jamais le besoin de se marier. « Je vous avoue, nous dit-il un jour, qu’au milieu des milliers d’insectes qui m’entourent, je ne me suis jamais senti seul. » 

Il était parent de Brillat-Savarin. Etrange rencontre que celle de ces deux noms, oracles tous deux pour l’embrochage, l’un des chapons, l’autre des insectes !

« Almanach de France et du Musée des familles. »  Société nationale pour l’émancipation intellectuelle. Paris, 1886.

Les fourmis pompiers 

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Beaucoup de naturalistes ont été attirés par l’étude méthodique des mœurs de fourmis et, dès à présent, ils ont rassemblé de nombreux documents qui nous éclairent sur ce sujet spécial. L’existence de ces petits insectes toujours actifs, vivant en sociétés où la division du travail est nettement établie a, en effet, de quoi tenter la curiosité des savants.

Dans une très intéressante étude publiée par le Journal de la Psychologie, Mme Marguerite Combes a donné quelques renseignements inédits sur la manière dont les habitants de plusieurs fourmilières se sont comportés en présence du feu. C’est à la suite de curieuses observations de M. Durand, sous-directeur au laboratoire de biologie végétale de Fontainebleau, à propos d’une de ces fourmilières que l’expérimentatrice fut amenée à faire ses recherches qui se sont poursuivies jusqu’à l’année dernière donnant toujours le même résultat.

Ajoutons que M. Bouvier, professeur au Muséum, est venu assister à une série d’expériences et a pu constater la réalité des faits que nous allons exposer.

Il y avait, il y a encore, dans l’enceinte du laboratoire, plusieurs fourmilières de formica rufa (C’est la fourmi rousse de nos forêts, qui élève, avec des brindilles de bois et des aiguilles de pin, de grandes constructions, hautes, parfois, d’un mètre. Elle est particulièrement active et batailleuse). L’une de ces fourmilières avait un sort infortuné. On la ravageait, on la bouleversait, on la fouillait pour lui ravir des larves. Enfin, M. Durand avait coutume de jeter sur elles ses bouts de cigarettes encore enflammées.

Un soir, il s’aperçoit que ces bouts de cigarettes s’éteignent plus vite quand ils tombent sur la fourmilière que s’ils reposent sur le sol nu. Ce qu’il voit lui paraît si étrange qu’il court à la maison :

— Madame Combes, venez voir !

Mme Combes regarde à son tour et n’en croit pas ses yeux. Le tableau est extraordinaire, déconcertant. M. Durand a de nouveau jeté une cigarette allumée sur la fourmilière et l’on aperçoit distinctement, à cette lueur, un groupe de fourmis qui lancent des jets d’acide sur ce petit brandon et l’éteignent.

Hasard ? Coïncidence ? Mme Combes veut en avoir le cœur net. Elle prend un rat de cave, en roule la partie inférieure sur un petit bâton, allume le rat de cave et plante le bâton dans la fourmilière. Elle assiste alors au spectacle que voici :

Tout d’abord, les fourmis reculent. Puis un certain nombre d’entre elles s’avancent, escaladent le bâton sur lequel est enroulé le rat de cave. On entend nettement la flamme crépiter, on voit, en même temps, à sa, lueur, des jets d’acide formique dirigés contre elle.

La flamme baisse, puis se ranime. L’arrosage n’a pas suffi… Tandis que certaines continuent leur office de pompiers, d’autres, bravement, s’avancent sur la partie enflammée afin de pouvoir mieux viser. Elles sont victimes de leur audace et meurent carbonisées. mais leur acte courageux a un bon résultat,d’autres les remplacent, se sacrifient à leur tour : la flamme s’affaisse, on peut s’approcher davantage. Quelques jets encore et elle s’éteint.

Reste pourtant, incandescent, le brasillon de la mèche. En plus grand nombre, les fourmis s’élancent, saisissent cette mèche entre leurs mandibules, l’arrachent, l’éteignent. Et c’est fini, toutes s’en vont. Le calme renaît sur la fourmilière. La scène a duré une minute.

Quelques jours plus tard, on remplace le rat de cave par une bougie allumée. Une bougie, songez-y bien, c’est quelque chose de gigantesque pour des fourmis ! Même résultat : les fourmis escaladent la bougie, les premières s’engluent dans la cire fondante. Cela ne les empêche pas de jeter leur acide et la victoire est remportée par elles.

Mme Combes a répété l’expérience nombre de fois : toujours elle a pu constater l’extinction de mèche allumée suivant la même tactique : d’abord jets d’acide formique, puis mordillement du point resté incandescent. Elle a pu constater, en outre, que probablement devenues plus habiles par leur entraînement les fourmis, à la fin des expériences, lançaient avec beaucoup plus de justesse leurs jets extincteurs et que l’ensemble de toute l’opération qui, au début, demandait plusieurs minutes, ne prenait plus guère, à la fin, que de dix à trente secondes.

Les autres fourmilières allaient-elles se comporter de la même façon ? Sur les cinq différentes qui ont été soumises à de multiples expériences semblables trois fois seulement on a obtenu l’extinction de la flamme. Très peu de fourmis ont eu recours au jet d’acide formique, preuve que ce procédé de lutte n’est pas instinctif.

Quelques-unes s’avancent vers la flamme, mais en approchant elles ont peur et reculent. Pour une fourmilière qui avait commencé à prendre feu, les insectes se sont attelés au rat de cave afin de l’entraîner au loin : ceci apparaît mieux comme le moyen instinctif de défense, impossible à employer, d’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’une bougie trop lourde à remuer.

En un mot, on aboutit à un contraste complet entre la première fourmilière, où le travail est méthodiquement conduit, où « toutes » les tentatives se terminent par un succès rapide et complet (vingt expériences en une heure) et les autres : certaines ne se préoccupent même pas de la flamme, certaines se livrent à une attaque sans vigueur et sans ordre. Aussi chez celles-ci trois extinctions seulement ont eu lieu sur des dizaines d’essais, extinctions peut-être dues au hasard.

Ce qu’il y a de plus curieux à constater, c’est que les expériences interrrompues par l’hiver et reprises au printemps ont donné exactement les mêmes résultats. Il faut donc admettre que, d’une part, nos insectes n’ont fait aucun progrès, et que, d’autre part, ceux de la première fourmilière ont conservé, d’une année à l’autre, la mémoire des faits et n’ont pas oublié la conduite à tenir.

Que peut-on conclure de ces diverses observations ? Le feu est un danger auquel les fourmis ne sont pas exposées en général. Pour une fourmilière, on doit même penser qu’il s’agit d’une circonstance encore inconnue.

Eh bien ! devant ce danger nouveau, certaines fourmilières n’ont pas réagi du tout, d’autres faiblement. Une seule, peut-être parce qu’elle était souvent en butte aux tracasseries et vivait dans l’inquiétude, a montré plus d’activité, et, poussée par la nécessité, a inventé un procédé d’extinction.

Il apparaît encore que la mémoire s’est étendue d’une année à l’autre, du moins en ce qui concerne ce procédé d’extinction.

Enfin, ce que l’on savait déjà est ici pleinement confirmé : une fourmilière est une république bien ordonnée où chacun a son rôle. Si pour préserver la communauté, le sacrifice d’un certain nombre d’individus est nécessaire, ceux-ci n’hésitent pas à remplir leur tâche et périssent pour assurer le salut de tous.

Un tel héroïsme chez une si faible bestiole ne mérite-t-il pas notre admiration ?

L. Kuentz. « Almanach des coopérateurs. » Limoges, 1934.
Image : Pixar Animation Studios.

La fourmi et la cigale

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Essayons de réhabiliter la chanteuse calomniée par la fable. En juillet, aux heures étouffantes de l’après-midi, lorsque la plèbe insecte, exténuée de soif, erre cherchant en vain à se désaltérer sur les fleurs fanées, taries, la cigale se rit de la disette générale.

Avec son rostre, fine vrille, elle met en perce une pièce de sa cave inépuisable. Etablie, toujours chantant, sur un rameau d’arbuste, elle fore l’écorce ferme et lisse que gonfle une sève mûrie par le soleil. Le suçoir avant plonge par le trou de bonde, délicieusement elle s’abreuve, immobile, recueillie, tout entière aux charmes du sirop et de la chanson. 

Surveillons-la quelque temps. Nous assisterons peut-être à des misères inattendues. De nombreux assoiffés rôdent, en effet. Ils découvrent le puits que trahit un suintement sur la margelle. Ils accourent, d’abord avec quelque réserve, se bornant à lécher la liqueur extravasée… Puis, les convoitises s’exacerbent : les réservés deviennent turbulents, agresseurs, disposés à chasser de la source le puisatier qui l’a fait jaillir. En ce coup de bandits, les plus opiniâtres sont les fourmis. J’en ai vu mordiller la cigale au bout des pattes. J’en ai surpris lui tirant le bout de l’aile, lui grimpant sur le dos, lui chatouillant l’antenne. Une audacieuse s’est permis, sous mes yeux, de lui saisir le suçoir, s’efforçant de l’extraire. Ainsi tracassé par ces nains et à bout de patience, le géant finit par abandonner le puits. Il fuit… 

On le voit : la réalité intervertit à fond les rôles imaginés par la fable. Le quémandeur sans délicatesse, ne reculant pas devant le rapt, c’est la fourmi. L’artisan industrieux, partageant volontiers avec qui souffre, c’est la cigale. 

J.-H. Fabre. « Mœurs des insectes. » 1911.

Du chamboulement de l’écosystème

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jamaique

C’est à la Jamaïque que la chose se passe. Nos vaisseaux y avaient importé le rat noir et le rat brun, qui jusque-là y avaient été inconnus. Ils y avaient pullulé. Ils dévoraient les récoltes de canne à sucre.

Il y a dans l’Inde un animal appelé la mangouste, qui a horreur du rat et qui en est le plus terrible destructeur que l’on connaisse. Les propriétaires de la Jamaïque font venir des mangoustes de l’Inde. Les mangoustes multiplièrent et firent une si bonne besogne qu’en peu d’années rats bruns et rats noirs furent exterminés ou à peu près.

Ce fut une joie dans tout l’île. Elle dura peu. Les mangoustes, n’ayant plus de rats à se mettre sous la dent, ne furent pas assez simples pour mourir de faim. Elles dévorèrent cailles, perdrix, pigeons, veaux, porcs, chiens et chats,et, comme le régime animal ne leur suffisait pas, elles s’en prirent aux bananes, aux patates, aux ananas, aux ignames, à tous les fruits qui jadis étaient la proie des rats.

Ce n’est pas tout, attendez, voilà qui est plus plaisant :

Il y avait à la Jamaïque des variétés de serpents, très inoffensifs pour l’homme et qui lui rendaient le service de nettoyer ses plantations de l’innombrable foule des insectes nuisibles. Les mangoustes mangèrent les serpents.Les insectes délivrés de leurs ennemis suivirent à la lettre le précepte de l’écriture « Croissez et multipliez. » La Jamaïque fut bientôt couverte de nuées de tiques qui s’attaquèrent aux troupeaux d’abord, puis aux hommes.

Le fléau du rat avait été remplacé par deux autres la mangouste et les tiques.

Mais ce n’est pas fini.

Il paraît que les tiques se sont abattues sur les mangoustes. C’était faire preuve d’une noire ingratitude. Mais pourquoi voulez-vous qu’une tique soit reconnaissante ? Elles en firent périr des milliers et voilà que tout aussitôt les rats bruns et noirs ont reparu. Les mangoustes ne les avaient pas tous détruits. Ils sont sortis de leurs trous. Ils sont rentrés en danse.

Qui sait ? Les serpents vont peut-être aussi reprendre leur utile besogne. Mais s’ils exterminent de nouveau les tiques, ce sera au tour des mangoustes de reprendre la corde. Les Jamaîquois sont perplexes. Il n’y a que les naturalistes de contents. Ils font sur ces évolutions des rapports à l’Académie et les journalistes, en dépeçant ces rapports, en composent des articles.

On n’a pas encore trouvé la mangouste du journaliste.

Sganarelle. « Le Temps. » Paris, 1897.
Illustration :Henry Scott Tuke.

 

Un mort vivant

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sauterelles

Presque tous les journaux ont gémi et nous ont fait pleurer sur le triste destin de M. Künckel d’Herculais, aide naturaliste au Muséum. Chargé d’une mission en Algérie, il s’était endormi dans un champ, et avait été étouffé par une nuée de sauterelles qui était venue s’abattre sur lui.

Le récit de cette cruelle aventure était agrémenté d’horribles détails à faire dresser les cheveux sur la tête. Mais, tout compte fait, il s’est trouvé que cette nuée de sauterelles n’était qu’un canard, une fausse nouvelle répandue par de mauvais journaux… Le canard est fils du serpent de mer !

Nous sommes, du reste, en veine de canards, et, en même temps que celui de l’homme tué par les sauterelles, est venu s’abattre sur nous celui du chemin de fer bloqué par des chenilles. On a télégraphié, en effet, de Charlotte (Caroline du Nord), que la ligne du Carolina Central Railroad était presque bloquée depuis quelques jours par un amas de chenilles qui, sur un viaduc en bois, cachaient complètement les rails et les traverses.

A qui le tour, maintenant ?

« Gazette littéraire, artistique et bibliographique. »  Paris, 1891.
Illustration : bidouillage perso.