hantise
L’esprit dans la bouteille
Un esprit hantait les écuries d’un métayer. Les vaches ne donnaient plus de lait, les chevaux furieux rompaient leurs licols.
Que faire en pareil cas ? La sorcière consultée conseilla de clouer sur la porte un morceau de plomb bénit et de placer à l’entrée de l’étable une bouteille vide. L’esprit conjuré devait y entrer. Il suffisait ensuite de boucher la bouteille et de l’enterrer dans un champ. Ce que fit notre métayer.
Longtemps après ces événements, alors que tout le monde avait oublié la bouteille et l’esprit, une route fut établie dans la région. Un des tournants de cette route était très dangereux et vit maints accidents. Les animaux s’affolaient à ce passage, les chiens hurlaient, les voitures versaient. Une vieille femme explique que l’esprit de la bouteille avait dû s’échapper et que si on creusait au tournant de la route on trouverait certainement des débris de verre provenant de la bouteille enterrée par le métayer.
Ce qui fut vérifié.
L’esprit a été conjuré de nouveau et la circulation en ce passage est redevenue normale. Mais sait-on jamais ? L’esprit qui est enfoui maintenant sous ce tas de pierres ne réussira-t-il pas un jour à se libérer de nouveau ?
Illustration : Jean Veber.
Les hantises de la place Saint-Etienne
A Rennes, les environs de l’ancienne église Saint-Etienne ont été presque jusqu’à nos jours redoutés par les habitants des environs : on disait qu’ils étaient hantés par des personnages mystérieux qui pouvaient bien appartenir à l’autre monde.
En 1825, l’église qui servait de magasin de campement, était entourée d’un vieux cimetière dont les murs tombaient en ruines. Un soldat montait la garde à l’une des brèches. Peut-être dès cette époque, ce lieu passait-il pour être le théâtre d’apparitions. Toujours est-il qu’un étudiant se déguisa en fantôme pour faire peur à la sentinelle. Celle-ci le frappa d’un coup de baïonnette dont il mourut. On ignora son décès, et l’on,crut que le soldat avait vu un revenant.
L’amphithéâtre de l’Ecole de Médecine qui se trouvait dans un coin du cimetière Saint-Etienne contribuait encore a donner un mauvais renom à ce coin de Rennes.
Enfin, un peu plus tard encore, on trouva un matin d’hiver dans les rues de Rennes, une fille du nom de Tiberge, bâillonnée et presque mourante. Le bruit se répandit aussitôt en ville que les carabins, comme on appelait alors les élèves en médecine, s’étaient livrés sur elle à des expériences de toutes sortes.
Les étudiants portaient alors de longs cabans avec un capuchon, et l’on disait que le soir, ils allaient par bandes dans les rues et emportaient à l’amphithéâtre, sous leurs manteaux, les jeunes filles qu’ils rencontraient. Pendant des mois, les ouvrières n’osèrent sortir seules des ateliers, où les parents allaient les chercher le soir.
Tous ces faits réunis furent longtemps un sujet d’épouvante surtout dans le quartier Saint-Etienne où se trouvaient l’amphithéâtre et les carabins.
A. Orain. « Revue des traditions populaires. » Paris, 1898.
Illustration : « The Knick » Steven Soderbergh, 2014.
Palace maudit
Ce billet évoque une fatalité bien mystérieuse dont un grand palace, du quartier des Champs-Elysées, a été le théâtre.
Un été, une admirable jeune femme descendait à l’hôtel X… et s’y faisait inscrire sous un nom supposé. Elle avait grand air, portait des bijoux de prix. Elle passait dans les couloirs silencieuse, admirablement habillée. Elle recevait peu de visites. Un jeune homme pourtant la venait voir fréquemment. Une nuit, on avait entendu du bruit. Le matin on trouvait la jeune femme et son visiteur morts, tués chacun de deux coups de revolver. La morte était tombée sur le lit. La pièce était pleine de sang.
De telles aventures sont désastreuses pour un hôtel qu’elles peuvent ruiner du coup. La Préfecture reconnut ou déclara qu’il y avait eu double suicide, qu’il n’y avait donc pas lieu d’informer. Les corps disparurent sans bruit, dans la nuit. La chambre fut renouvelée des murs aux tapis, et quinze jours après, un vieil étranger connu et fort respectable vint l’habiter. Il n’était pas là depuis deux jours, qu’un soir en rentrant du théâtre, et remontant à sa chambre par l’ascenseur, il se trompa, fit un geste hâtif, ouvrit trop tôt la porte du palier, eut la jambe prise dans la cage de l’escalier et subit une fracture de la cuisse. Deux jours après, des suites de son accident, il mourrait.
La chambre fatale fut renouvelée de fond en comble, mais la direction voulut d’abord la laisser fermée. Quand les habitués passaient dans le couloir, machinalement ils baissaient la voix.
Après trois mois de silence, un soir que les voyageurs affluaient, la chambre, toute neuve, fut rouverte et rendue à un client. Quelques jours après, le personnel de l’hôtel manifestait tout à coup une agitation extrême, une nervosité inaccoutumée et qui ne pouvait échapper aux yeux des voyageurs habituels. C’est qu’en effet le dernier habitant de la chambre tragique, pris d’une syncope, avait dans la nuit succombé à une embolie !
Hasard, coïncidence, fatalité, qu’on donne à cette « malédiction » toutes les explications qu’on voudra. Ceux qui croient aux lois mystérieuses d’un monde inconnu de nos sens trop limités, ceux-là seuls pourraient expliquer ces morts inexplicables.
Inspiré par un article paru en 1913 dans « L’Écho du merveilleux« .
Photo : http://www.nipponconnection.fr
Un mystérieux suicide
Le docteur Brierre de Boismont a extrait l’histoire présente d’un livre curieux publié par un médecin anglais, sous le titre de Anatomy of suicide. Elle se rapporte à la cause mystérieuse du suicide du marquis de Londonderry (Robert Stewart), qui, sous le nom de lord Castelreagh, fut ministre du Foreign Office pendant la lutte de l’Angleterre et de l’Europe coalisée contre la France, et qui, en 1820, se coupa la gorge dans un accès de folie.
Il y a environ quarante ans, le noble lord était allé visiter un gentilhomme de ses amis, qui habitait, au nord de l’Irlande, un de ces vieux châteaux que les romanciers choisissent de préférence pour théâtre de leurs apparitions. L’aspect de l’appartement du marquis était en harmonie parfaite avec l’édifice. En effet, les boiseries richement sculptées, noircies avec le temps, l’immense cintre de la cheminée, semblable à l’entrée d’une tombe, la longue file des portraits des ancêtres au regard à la fois fier et méprisant, les draperies vastes, poudreuses et lourdes qui masquaient les croisées et entouraient le lit, étaient bien de nature à donner un tour mélancolique aux pensées.
Lord Londonderry examina sa chambre et fit connaissance avec les anciens maîtres du château, qui, debout dans leur cadre d’ivoire, semblaient attendre son salut. Après avoir congédié son valet, il se mit au lit. Il venait d’éteindre sa bougie, lorsqu’il aperçut un rayon de lumière qui éclairait le ciel de son lit. Convaincu qu’il n’y avait pas de feu dans la grille, que les rideaux étaient fermés, et que la chambre était, quelques minutes avant, dans une obscurité complète, il supposa qu’un intrus s’était glissé dans la pièce. Se tournant alors rapidement du côté d’où venait la lumière, il vit, à son grand étonnement, la figure d’un bel enfant entouré d’un limbe. L’esprit se tenait à quelque distance de son lit.
Persuadé de l’intégrité de ses facultés, mais soupçonnant une mystification de la part d’un des nombreux hôtes du château, lord Londonderry s’avança vers l’apparition, qui se retira devant lui. A mesure qu’il approchait, elle reculait, jusqu’à ce qu’enfin, parvenue sous le grand cintre de l’immense cheminée, elle s’abîma dans la terre. Lord Londonderry revint à son lit, mais il ne dormit pas de la nuit, tourmenté de cet événement extraordinaire. Était-il réel, ou devait-il être considéré comme l’effet d’une imagination exaltée ? Le mystère n’était pas facile à résoudre.
Il se détermina à ne faire aucune allusion à ce qui lui était arrivé, jusqu’à ce qu’il eût examiné avec soin les figures de toutes les personnes de la maison, afin de s’assurer s’il avait été l’objet de quelque supercherie. Au déjeuner, le marquis chercha en vain à surprendre sur les figures quelques-uns de ces sourires cachés, de ces regards de connivence, de ces clignements d’yeux, par lesquels se trahissent généralement les auteurs de ces conspirations domestiques. La conversation suivit son cours ordinaire. Elle était animée, rien ne révélait une mystification, tout se passa comme de coutume. A la fin, le héros de l’aventure ne put résister au désir de raconter ce qu’il avait vu, et il entra dans toutes les particularités de l’apparition. Ce récit excita beaucoup d’intérêt parmi les auditeurs et donna lieu à des explications fort diverses. Mais le maître du lieu interrompit les divers commentaires en faisant observer que la relation de lord Londonderry devait, en effet, paraître fort extraordinaire à ceux qui n’habitaient pas depuis longtemps le château, et qui ne connaissaient pas les légendes de la famille. Alors, se retournant vers le héros de l’aventure :
« Vous avez vu l’enfant brillant, lui dit-il, soyez satisfait, c’est le présage d’une grande fortune, mais j’aurais préféré qu’il n’eût point été question de cette apparition. »
Dans une autre circonstance, lord Castelreagh vit encore l’enfant brillant à la chambre des communes, et il est très probable que le jour de son suicide, il eut une semblable apparition.
Louis Figuier. « Histoire du merveilleux dans les temps modernes. » Paris, 1860.
Le spectre de la fiancée
Il n’y a pas bien longtemps de ça, Carlo, un homme riche et beau aimait une jeune fille nommée Mariuccia. Celle-ci, qui était pauvre, s’était longtemps défendue contre ses assiduités; elle finit pourtant par céder aux désirs de celui qu’elle aimait plus que sa vie. Mariuccia et son amant s’étaient juré un amour éternel; il s’étaient promis de ne jamais se séparer, pas même après la mort.
Quelque temps après, le père de Carlo dit à son fils :
— Mon enfant, tu es en âge de te marier ; tu as trente ans, et peut-être il ne serait pas trop prudent d’attendre davantage; je t’ai choisi une femme riche, belle, possédant enfin toutes les qualités que tu peux désirer, je veux que tu l’épouses.
— Mon père, vous savez que j’ai juré d’être à Mariuccia.
Mais le père se moqua de son fils et fit tant et si bien qu’il le décida à ne plus revoir la jeune fille.
Lorsque Mariuccia apprit la décision de son amant, elle tomba dans une profonde mélancolie. On la voyait dépérir peu à peu, et elle devint si maigre qu’à peine on pouvait la reconnaître.
Un jour elle rencontra Carlo.
— Est-ce vrai que tu m’as oubliée ? Et tes serments, les as-tu donc aussi oubliés ?
Mais Carlo fit semblant de ne pas entendre et continua sa route.
Quelques jours après, Mariuccia mourut.
On creusa sa fosse dans le cimetière, et, comme elle ne possédait rien, elle n’eut même pas une croix en bois.
Carlo ne tarda pas à se marier. Il était heureux, car sa femme, belle et riche, lui fit bientôt oublier la pauvre Mariuccia qui l’avait tant aimé.
Un soir, les deux époux étaient endormis, lorsque, vers minuit, une main glacée les réveilla.
— Qui est là ? qui est là ? s’écrièrent-ils en voyant devant eux un spectre enveloppé d’un linceul.
— C’est moi.
Carlo fut terrifié; il reconnaissait la voix.
Il osa pourtant dire.
— Qui, toi ? je ne te connais pas.
On entendit alors un ricanement, et le spectre, se débarrassant de son linceul, vint se coucher au milieu des époux. Ceux-ci frissonnèrent au contact de ces froids ossements qui les glaçaient.
— Que veux-tu ? dit la jeune femme. Pourquoi viens-tu nous troubler dans notre sommeil ?
— Je veux mon époux; il m’a juré qu’il serait à moi pendant la vie, et que ma mort serait la sienne: il a oublié de venir à moi, je viens à lui.
Ces paroles remplirent d’épouvante la pauvre femme qui se blottit dans un coin pour ne pas toucher le spectre.
Mariuccia resta couchée jusqu’au matin. Quand le coq chanta elle fut obligée de partir.
Carlo courut chez le curé et lui raconta ce qui lui était arrivé.
— Il faut bénir le lit, répondit celui-ci.
Et aussitôt il se dirigea vers l’église, où il prit une grande quantité d’eau bénite avec laquelle il aspergea toute la maison.
Le soir arriva. Malgré l’assurance du curé, Carlo et sa femme ne purent fermer l’oeil avant onze heures. A minuit précis, une main de squelette les réveilla.
— Faites-moi place ! j’ai bien froid.
— Spectre, ô spectre ! que t’ai-je fait ? s’écria la pauvre femme. Viendras-tu longtemps me glacer d’épouvante ?
— Je viendrai toutes les nuits à cette même heure, dans quelque endroit que vous vous trouviez, jusqu’à ce que j’aie mon époux; ne m’a-t-il pas juré d’être à moi ?
Et cette nuit encore Mariuccia resta couchée jusqu’au chant du coq.
La nuit suivante, le spectre vint de nouveau, et, comme la veille, il gémit:
— Place ! faites-moi place, j’ai bien froid !
Cette fois-ci encore la morte se mit entre les deux vivants. Elle étreignait Carlo dans ses bras décharnés en disant:
— Enfin, tu es à moi, mon bien-aimé, tu seras toujours à moi; nous ne nous quitterons plus jamais !
Carlo ne répondit pas. Il était mort.
On l’ensevelit dans la tombe de Mariuccia.
Depuis ce temps, le spectre ne retourna plus à l’heure de minuit.
Conté en 1882 par Rosalinda Mattei
« Les contes populaires de l’île de Corse. » J.-B. Frédéric Ortoli, Maisonneuve et Cie, Paris, 1883.
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