Gazette de France

Outrecuidance

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chêne et roseauM. Armand de Pontmartin raconte dans la Gazette de France une anecdote amusante de la vie de Lebrun, suivie de quelques très jolis vers de lui fort peu connus :

Il dînait un soir chez mademoiselle Mars avec un groupe d’artistes, de journalistes et de poètes. On parlait de l’incroyable  outrecuidance d’un jeune compositeur nommé Rossini, qui avait osé refaire le Barbier de Séville de Paisiello.

 A-t-on idée de cette-folie ? disait Berton.
— Je retiens d’avance une place au parterre des
Bouffes pour le siffler comme il le mérite, ajoutait Andrieux.

M. Lebrun, toujours habile à flairer le succès, essayait de défendre l’audacieux sacrilège.

 Voyons ! lui dit enfin la maîtresse de la maison, vous avez, mon cher ami, beaucoup d’esprit et de talent. Eh bien ! oseriez-vous refaire… par exemple… (elle chercha un instant) le Chêne et le Roseau ?…

M. Lebrun de-vint rêveur et ne parla plus que par monosyllabes. Une demi-heure après, il parut sortir de sa distraction, s’approcha d’une table, et crayonna les vers suivants :

— De mes rameaux brisés la vallée est couverte,
Disait au Vent du nord le Chêne du coteau;
Dans ton courroux, barbare, as-tu juré ma perte,
Tandis que je te vois caresser le roseau ?

— J’ai juré, dit le Vent, d’abattre le superbe
Qui me résiste comme toi,
Et de protéger le brin d’herbe
Qui se prosterne devant moi.
Avise aujourd’hui même à désarmer ma haine,
Ou j’achève aussitôt de te déraciner.
— Je puis tomber, reprit le Chêne,
Mais je ne peux me prosterner !

« Almanach de France et du Musée des familles. » Paris, 1874.

Un si joli dessin

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gustave-doré

Monsieur de Meurville, le critique d’art de la Gazette de France, conte cette anecdote inédite sur Gustave Doré.

Un jour, à Ischl, une scène de mariage villageois lui avait offert le sujet d’un croquis incomparable. Enchanté de sa trouvaille, il exécute en un instant un de ses plus jolis dessins, referme son album, le met dans la poche de son paletot et retourne à l’hôtel pour dîner.

Après dîner, plus d’album. Furieux, il appelle l’hôte qui n’a rien vu. Personne n’avait touché au paletot du voyageur.

Arrivé à Vienne, Gustave Doré reçoit une lettre et un paquet. La lettre était anonyme,et disait à peu près ceci :

« Monsieur, j’ai volé votre album à Ischl. le croquis était si joli que je n’ai pu résister à la tentation de le garder, sachant que vous ne consentiriez pas à me le vendre. Mais, croyez-le bien, le vol n’est chez moi ni une habitude ni un métier, et je vous prie d’accepter en souvenir de mon délit et de mon enthousiasme pour votre talent, le bâton de voyageur qui vous sera remis en même temps que cette lettre. » 

Or, le bâton en question était une canne dont le pommeau d’or enclavait une pierre précieuse du plus grand prix.

C’était payer en grand seigneur. 

Le journalisme avant l’heure

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kiosque

Les Français sont grands amateurs de nouvelles, musards, crédules par curiosité, badauds en un mot. Soit. Mais au moins, s’il faut une excuse à ce besoin de nouveauté, qui excite leur imagination, ils en ont une excellente. C’est qu’ils tiennent ce goût de leurs plus lointains ancêtres.

Déjà, au dire de César, les Gaulois allaient au devant des marchands sur les routes; ils arrêtaient les étrangers sur les places pour s’enquérir des nouveautés que ceux-ci avaient su apprendre chemin faisant. Puis ils les commentaient, les amplifiaient, les enjolivaient et les colportaient à leur tour.

Au Moyen Age, les trouvères et les troubadours étaient les nouvellistes tout indiqués. Ils renseignaient ou mystifiaient à l’occasion les châtelains et les bourgeois à travers leur vie errante, leur bohème accidentée. C’étaient, à vrai dire, des précurseurs. Ils pratiquaient le journalisme parlé.

Le journalisme écrit ne tarda pas. Bien avant les premières gazettes italiennes, les Nouvelles de la République des Lettres, le Mercure et la Gazette de France, c’est-à-dire dès la fin du XVe siècle, les bourgeois de plusieurs villes de France s’avisèrent d’afficher périodiquement aux piliers de leurs parloirs « des feuilles de bonne calligraphie où étaient relatées toutes sortes de nouveautés, voire de propos gais et de médisance », nous narre un historien du temps, Olivier Chastelain.

Et l’on sait le reste.

Les journaux, en se multipliant, en nous instruisant de tout ce qui se passe heure par heure, n’ont fait qu’augmenter la curiosité publique.

« Revue de France. » Paris, 1903.

Les origines du journalisme

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theophraste-renaudotLe Précurseur d’Anvers, qui a publié d’intéressants documents sur l’histoire du journalisme, rappelle, non sans orgueil, que c’est a un Anversois, Abraham Verhoeven, que revient l’honneur d’avoir fondé le journal dans la stricte acception du mot.

Ce journal, intitulé Niewe Tijdingen, parut d’abord à des intervalles inégaux, mais, dès l’année 1621, il prit un cours régulier, paraissant tous les deux jours avec des illustrations. A cette époque, les autres pays, y compris l’Angleterre, ne produisaient que des feuilles volantes.

En revanche, c’est la France qui donne le jour au premier journal sérieux, la Gazette, fondée, comme on sait, en 1631, à Paris, par Théophraste Renaudot, médecin du roi.

Le premier numéro de la Gazette de France, qui parut le 30 mai, contenait des nouvelles de Constantinople (2 avril), de Rome (26 avril), de la Haute-Allemagne (30 avril), de Freistad en Silésie (1er mai), de Venise (2 mai), d’Amsterdam (17 mai), d’Anvers(24 mai), etc. C’était là, pour le temps, des informations remarquablement rapides.

Ce Théophraste Renaudot, à qui la France devrait bien une statue, comme la Belgique en devrait bien une à Abraham Verhoeven, était un écrivain distingué et un administrateur modèle. Le succès de la Gazette de France fut très grand. Dès 1633, Renaudot parlait en homme sûr de son affaire. Il avertissait les princes qu’ils perdraient leur temps à vouloir fermer le passage à ses nouvelles, « attendu, disait-il, que c’était là une marchandise dont le commerce ne saurait se défendre, et qui tient en cela de la nature des torrents, qu’elle se grossit par la résistance ».