Esope

Le physique et le moral

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quasimodoVictor Hugo, en parlant de Charlemagne, dit quelque part « qu’il était de ces très rares grands hommes qui sont aussi des hommes grands ».

Avant lui, la sagesse des nations avait formulé ce précepte : « Dans les petites boîtes les bons onguents », auquel on oppose parfois cet autre : «… et dans les grandes les excellents », qui n’a que la valeur d’une boutade.

Il semble que cette remarque d’un rapport entre la taille et l’intelligence, qui conclut à une proportion inverse entre ces deux termes, ait été faite de tout temps. Virgile l’a constaté dans ce vers : Ingentes animos anguilo corpore versant, qui veut dire : Ils ont de grandes âmes dans des corps chétifs.

Ce qui veut dire aussi que les plus grands esprits ne sont pas logés toujours en des corps sans défaut. Les bossus ont une réputation d’esprit qui semble justifiée depuis Esope.

On ne serait guère embarrassé de citer de nombreux grands hommes qui furent, de leur vivant, peu favorisés sous le rapport des avantages physiques. Rappelons seulement Scarron et Byron.

Quand Victor Hugo voulut créer une sorte d’entité du dévouement et de l’esprit de sacrifice, il inventa Quasimodo, qu’il dota de toutes les disgrâces qui puissent déparer un pauvre corps humain. Et plus récemment, M. Rostand ne semble-t-il pas avoir voulu faire la même démonstration en mettant en parallèle Cyrano de Bergerac et Christian de Neuvillette ?

Mais la nature elle-même ne fournit-elle pas sa contribution à cette théorie en étendant au règne végétal cette espèce de contradiction. Ce n’est pas un mystère que les fleurs qui exhalent les parfums les plus suaves ne sont pas généralement celles qui offrent aux regards les couleurs les plus agréables et les plus éclatantes.

« Le Journal du dimanche. » Paris, 5 juillet 1903.
Photo : Patsy Ruth Miller et Lon Chaney  dans « The Hunchback of Notre Dame »  Wallace Worsley, 1923.

Grosse déception

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jean-de-la-fontaine

J’avais eu un si grand plaisir à lire les fables d’Esope mises en vers par La Fontaine, que cet ouvrage, écrit avec tant de finesse, de charme, me fit naître l’envie de connaître l’auteur.

Trois de mes amis se prêtèrent à la chose par le moyen d’un quatrième qui fréquentait cet homme rare. Nous l’attirâmes dans un petit coin de la ville, dans une maison consacrée aux Muses, où nous lui donnâmes un repas, pour avoir l’avantage de son agréable conversation. Il ne se fit point prier, et vint à l’heure dite. La compagnie était bonne, la table propre et délicate et le buffet bien garni. Point de compliments d’entrée, nulle façon, nulle grimace ni contrainte.

La Fontaine garda le silence, mangea comme quatre et but de même.

On ne s’était point étonné qu’il ne parlât pas en mangeant et buvant ainsi. Mais le repas fini, on commença à souhaiter de l’entendre. Il s’endormit. Après trois grands quarts d’heure de sommeil, il revint à lui. Il voulut s’excuser sur ce qu’il était fatigué. On lui dit que cela ne valait point d’excuse; que tout ce qu’il faisait était bien fait. On s’approcha de lui, pour le mettre en humeur de laisser voir son esprit.

Mais son esprit ne se montra point. Il semblait être on ne sait où.

Peut-être animait-il quelque grenouille dans un marais, quelque cigale sur un arbre, ou quelque renard dans sa tanière. Toujours est-il que tant que La Fontaine demeura avec nous, il ne nous parût être qu’une machine sans âme. On le jeta dans un carrosse, et nous lui dîmes adieu pour toujours. Jamais gens ne furent plus surpris.

Comment se peut-il faire, nous disions-nous, qu’un homme qui a su rendre si spirituelles les plus grosses bêtes du monde, et leur faire parler le plus joli langage qu’on puisse entendre, ait une conversation si sèche, si nulle, ou plutôt n’en ait pas du tout…  Et comme on dit, nous y perdions notre latin. Voilà ce qu’était La Fontaine : moins qu’homme avec les hommes, plus qu’homme avec les bêtes.

Vigneul-Marville. 1634-1704.

La chèvre et le chevrier

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Une de ses chèvres s’étant écartée du troupeau, un chevrier s’efforçait de la ramener vers les autres.

Comme ni ses cris ni ses coups de sifflet n’obtenaient de résultat, il lui lança une pierre qui lui brisa une corne. Il la supplia de n’en rien dire au maître.

— Ô le plus sot des chevriers ! répliqua la chèvre, j’aurai beau me taire : ma corne parlera assez haut.

« Il faut être bien simple pour vouloir cacher ce qui saute aux yeux. »

Esope. Illustration de Arthur Rackham.

Le renard et le lion

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Un renard n’avait encore jamais vu de lion. Un beau jour, le hasard lui en fit rencontrer un: peu s’en fallut qu’il ne mourût de frayeur.

Puis il le rencontra une seconde fois: il eut encore peur, mais non pas autant que la première.

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Enfin, à la troisième rencontre, il s’enhardit au point d’aborder le lion et de converser avec lui.

Effet de l’habitude: ce qui nous effrayait devient d’accès facile.

Esope.

Le renard sans queue

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Un renard avait laissé sa queue dans un piège. Depuis lors, la honte lui rendait la vie insupportable.

C’est pourquoi il résolut d’amener les autres renards à partager son sort: ainsi le malheur général dissimulerait sa propre infortune. Il les réunit tous et les exhorta à se couper la queue, alléguant non seulement que cet appendice était fort laid, mais encore que c’était un fardeau superflu dont les avait chargés la nature.

Eh ! l’ami, lui répliqua l’un des renards, si tu n’ y trouvais pour toi un avantage, nous aurais-tu, à nous, donné ce conseil ?

Le mot s’adresse à ceux qui se font les conseillers du prochain non par bienveillance, mais par intérêt.

Esope.

Le sapin et la ronce

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Le sapin disait glorieusement à la ronce : Pauvre créature, tu n’es bonne à rien, tandis que, moi, je sers à couvrir des maisons et à les meubler.

— Ah ! répliqua la ronce; si tu pensais aux haches et aux scies qui t’abattront, tu préférerais être ronce, plutôt que sapin.

Mieux vaut pauvreté paisible que richesse avec ses conséquences.

Esope