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Un village unique

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villageUn voyageur, qui vient de visiter un village unique en son genre aux États-Unis, en envoie la description à un journal de New York : 

Ce village, nommé Viorle, situé à l’extrémité sud-ouest du Kansas, a une population de mille habitants et constitue un town indépendant. II fait et exécute ses lois civiles, criminelles, sociales et religieuses. Il n’y a ni hôtels, ni restaurants, ni établissements publics quelconques à Viorle, et l’étranger qui se hasarde est généralement expulsé. Cependant, une exception a été faite en faveur du voyageur à qui nous empruntons ces détails. 

Après une longue délibération, les Prudents, dont il sera question plus loin, lui ont permis de passer quelques heures dans le village. Viorle a été fondé, au commencement de 1868, par un certain nombre de toqués religieux, sur le principe de la communauté absolue de toutes choses. Les maisons sont petites et invariablement de briques, avec proscription rigoureuse de tous articles, non seulement de luxe, mais de commodité. Absence complète de meubles et pas de planchers. Des peaux, étendues sur le sol nu, sont le seul siège en usage. Presque tous les membres de la communauté ont l’intelligence bornée, l’es- prit simple. Ils sont grossiers d’aspect et de mœurs, et ignorants comme des carpes. La loi fondamentale est de ne rien vendre et rien acheter. Tous sont tenus de se mettre au travail au point du jour. Mais ils se reposent dès qu’ils se sentent fatigués ou simplement disposés à la fainéantise, et les Prudents sont souvent obligés de rendre des édits recommandant plus de diligence et d’ardeur au travail. 

Les Prudents sont au nombre de douze et exercent leurs fonctions à vie. Quand l’un d’eux meurt, ses collègues nomment son successeur. C’est le conseil des Prudents qui règle les différends, répartit à chacun sa besogne et partage les récoltes. En fait de magasins, on trouve à Viorle trois vastes entrepôts : l’un pour le maïs, les légumes et autres produits de la terre, l’autre pour les étoffes et les peaux tannées, et le troisième pour le whiskey. Il n’y a pas de familles à proprement parler, le mariage n’étant pas reconnu. Il semble que cet état de choses devrait engendrer des jalousies et des querelles, mais il n’en est rien. 

L’existence des mille habitants de Viorle s’écoule dans un abrutissement monotone et paisible. 

« La Revue des journaux et des livres. » Paris, 1887.
Photo extraite du film : « Back to the Future Part III » Robert Zemeckis, 1990.

La bouillie des chanoines

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moines

Un fait assez singulier se passait, le mardi de Pâques de chaque année, dans la ville de Rennes. Madame Barreau, ci-devant de Girac, est abbesse de Saint Georges, communauté située dans ladite Ville.

Cette abbaye a, de temps immémorial, le droit suivant sur les chanoines de la cathédrale. Ils sont obligés de venir processionnellement chanter la grande messe le mardi de Pâques à l’abbaye, sous peine d’une amende considérable. Mais en revanche, l’abbesse est obligée, après la cérémonie, de faire entrer dans une des cours de l’intérieur du couvent, chanoines, dignitaires, bas-choeur, musiciens, chantres etc., et là, de leur donner une ample ration de bouillie et de sucre. Ce qu’il y a de plus original, c’est que la bouillie doit être urcée  (c’est-à-dite un peu brûlée), ce que le grand chantre vérifie, en trempant son index dans le grand bassin. Après l’examen du gourmet, les religieuses distribuent la bouillie à chacun des assistants, et se rangent debout d’un côté, tandis que ceux-ci sont occupés à manger de l’autre.

La cérémonie faite, les chanoines s’en retournent, dans le même ordre qu’ils sont venus , avec la seule différence que beaucoup de ces messieurs emportent chez eux des écuelles pleines de bouillie, de manière que d’une main, ils tiennent l’aumusse et le basson, et de l’autre, leur bouillie.

J’atteste la vérité de ce fait, comme témoin oculaire, car, voulant m’en assurer l’année dernière, je trouvai le moyen de me faufiler avec quelques amis, tandis que le chapitre entrait. Notre dessein était d’enlever la bouillie de ces messieurs, et de la porter aux Ecoles de droit. Mais comme nous n’étions que trois, nous ne pûmes exécuter ce projer. Nous nous contentâmes d’assister au repas auquel deux de nous prirent part, en se faisant passer pour musiciens.

Il est étonnant que des droits pareils aient subsistés dans le dix-huitième siècle. Mais depuis la suppression des chanoines, le repas n’aura plus lieu, faute de convives.

« Almanach littéraire ou Etrennes d’Apollon. »  Paris, 1792.
Illustration : damien chavanat.