comédiens

Les baladins

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Ils sont venus pour la fête. Tous jaunes, maigres  disloqués. Des figures à part. En arrivant ils étaient affreux à voir, les hommes avec leurs vieux habits trop larges, les femmes avec leurs haillons. On leur a donné une salle basse dans l’auberge, et la transformation des larves va s’accomplir. Tout à l’heure ils seront radieux dans leurs maillots roses, étincelants sous leurs paillettes.

En attendant, leur campement provisoire présente le fouillis le plus pittoresque. Les hommes, les femmes, les enfants et les animaux savants sont pêle-mêle. L’hercule, qui est prêt depuis longtemps, s’abandonne aux ivresses du jeu de dés en tête-à-tête avec l’invalide qui tourne habituellement l’orgue et qui, pour le moment, est assis sur son orchestre. Pauvre invalo, comme on l’appelle, il perd et frappe du poing sur la table pendant que le singe s’amuse à lui éplucher la tête. La reine sauvage fume la pipe tranquillement sans s’inquiéter des joueurs; mais le cosaque du Don, qui représentera tout à l’heure l’armée russe dans la pièce militaire, rit d’une oreille à l’autre en voyant le désespoir du perdant.

Près de la porte, la jeune première, qui fait aussi l’office d’habilleuse, lace sa petite soeur, écuyère d’avenir et danseuse de corde appréciée. Le petit frère baille à plaisir étendu sur le molosse, aux pieds de la bohémienne qui devine les secrets des coeurs d’après les lignes de la main. La porte s’ouvre. On ne se dérange même pas; c’est le piston qui revient de vendre de la mercerie en ville, avec la reine-mère, et qui va s’affubler d’un costume de général pour paraître sur l’estrade.

Attendez quelques instants; entrez dans la salle du spectacle et vous verrez défiler sous vos yeux tous ces personnages. C’est à peine si vous les reconnaîtrez. Ils seront transfigurés. Plus de laisser-aller; la tenue correcte. Plus de jurons, des sourires. Plus de loques, des habits de parade.

Moralement, le même changement s’opérera en eux. Ils seront méconnaissables. A peine auront-ils paru sur l’estrade qu’ils se sentiront plus de dignité. Alors qu’on ne les appelle plus baladins. Quelque infimes que soient leur talent et leur genre, ils ont en eux ce je ne sais quoi qui fait l’artiste.

« Musée universel. » Paris, 1873.
Illustration : « La strada. »  Federico Fellini. 1954.

Ton univers impitoyable

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Les artistes reçoivent beaucoup de lettres. On leur demande des photos, des autographes, on les interroge sur leurs rôles, on leur demande des précisions sur les films qu’ils doivent tourner. On leur pose aussi parfois des questions embarrassantes, des questions imprévues et souvent saugrenues.

A Loretta Young, une demande en mariage se terminait par ces mots : Dans le cas où ma proposition ne vous agréerait pas, veuillez être assez aimable pour en faire part à Mlle votre soeur, qui me plaît également beaucoup. A l’exquise divette Germaine Roger, un étranger demanda : Etes-vous amoureuse de vos partenaires ? Au jeune premier Joel Mac Crea : Que portez-vous quand vous prenez un bain de soleil ? La réponse fut : Un pardessus en poil de chameau. Et  cette autre que reçut Lucien Baroux : Cher monsieur, je vous ai souvent vu au cinéma. J’ai dix-sept ans et je suis blonde. Dois-je me faire faire « la permanente » ? A Ginger Rogers, âgée de vingt ans, on écrivit pour lui demander si elle était la mère de Buddy Roggers, trente-cinq ans.

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Georgius se vit poser la série de questions suivantes, dont l’ensemble constitue un bel assortiment, et cela pour la même personne : Portez-vous des caleçons courts ou longs ? Comment préférez-vous les pommes de terre ? Quelle est votre couleur favorite pour une voiture ? Jim Gerald estime, lui, que la plus saugrenue des questions que l’on puisse lui poser est celle de faciliter l’accès de la profession de comédien à un nouveau venu. Autant offrir à un agneau de partager sa couche avec le loup !

Duvallès a plutôt ri jaune quand on lui a demandé quel maquillage il se mettait sur la figure pour avoir un teint d’âne. Or, Duvallès tourne sans se maquiller ! La jolie Blanche Montel eut bien peur quand elle reçut la missive suivante :L’esprit de ma mère me commande de vous épouser. Je vous attends demain à Lyon. Le plus ennuyeux était qu’elle fut en butte aux avances de ce demi-fou pendant un mois.

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A Laurel et Hardy, l’on demanda s’ils dormaient ensemble avec leur femme au milieu ou aux extrémités du litRaimu n’a jamais pu digérer cette question que l’on posa un jour à sa femme : Est-il exact que votre mari soit interné comme fou et ne soit remis en liberté que pour tourner ?

Robert Frankel. « Ciné-miroir. » Paris, 1940. 

Le droit des pauvres

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Ceux qui prétendent qu’il est juste que les comédiens soient excommuniés pendant leur vie, et qu’on fait bien de leur refuser la sépulture après leur mort, ne savent pas sans doute que c’est à ces mêmes comédiens que les pauvres sont redevables du droit que l’on perçoit pour eux sur les recettes des divers spectacles.

En 1696, les comédiens français, établis dans la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, décidèrent qu’on prélèverait, tous les mois, sur leurs recettes, une somme qui serait partagée entre les couvents les plus pauvres de Paris. Les Cordeliers n’ayant pas été admis au partage, adressèrent la requête suivante aux comédiens : 

Messieurs,

Les pères Cordeliers vous supplient très humblement d’avoir la bonté de les mettre au nombre des pauvres religieux à qui vous faites la charité. Il n’y a point de communauté dans Paris qui en ait un plus grand besoin, eu égard à leur grand nombre et à l’extrême pauvreté de leur maison. L’honneur qu’ils ont d’être vos voisins leur fait espérer que vous leur accorderez l’effet de leurs prières, qu’ils redoubleront pour la prospérité de votre chère compagnie.  

Les comédiens français accédèrent à la demande des Cordeliers, et depuis lors on a continué de percevoir un impôt pour les pauvres sur tous les spectacles*.

*Le droit des pauvres a été supprimé par le Régime de Vichy, en 1942.

« La Diligence : journal des voyageurs. »Paris, 1845.
Illustration : Peinture de Jean-Baptiste Coulon.

 

 

Gaultier Garguille, Gros-Guillaume et Turlupin

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Gaultier Garguille, Gros-Guillaume et Turlupin, ce triumvirat de comédiens grotesques qui eurent au commencement du XVIIe siècle une si grande popularité, terminèrent leurs jours d’une façon bien triste.

Gros-Guillaume, qui, bien qu’octogénaire, n’avait rien perdu de sa burlesque jovialité, ayant imaginé d’imiter dans une scène comique la physionomie d’un magistrat dont le principal agrément était une grimace habituelle, mit une telle vérité dans cette imitation, que lui et ses deux compères, qui se trouvaient sur le théâtre dans le même moment, furent décrétés le lendemain.

Les deux derniers prirent la fuite, mais Gros-Guillaume fut arrêté et mis au cachot. Il éprouva un tel saisissement de cette incarcération, qu’il mourut presque aussitôt. La douleur qu’en ressentirent Gaultier Garguille et Turlupin les emporta dans la même semaine.

« L’Entr’acte versaillais. »  Versailles, 1865.

Comédiana

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Polyeucte

Le Polyeucte de Corneille joué on 1640 fut, dit un annaliste du théâtre, la pièce qui commença d’accréditer le spectacle aux yeux mêmes des personnes scrupuleuses, et qui fit accorder aux comédiens une considération qu’on leur avait absolument refusée jusque-là.

On peut même présumer que ce motif, joint d’ailleurs à la conduite mieux réglée des acteurs, détermina Louis XIII, qui les protégeait, à leur accorder un arrêt très favorable en date du 16 avril 1641 où il est dit expressément :

En cas que les dits comédiens règlent tellement les actions du théâtre, qu’elles soient du tout exemptes d’impuretés, nous voulons que leur exercice qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputée à blâme, ni préjudiciable à leur réputation dans le commerce public.

« Musée des familles. »  Charles Delagrave. Paris, 1897.
Illustration : Opéra de Polyeucte, de Gounod : scène du Credo : dessin de Mergy, 1878.