Charlie Chaplin

Charlie Chaplin compositeur 

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charlotQue n’a-t-on pas dit ou écrit sur Charlie Chaplin ! Quels bruits n’ont pas couru sur sa façon de penser et son attitude à l’égard du film sonore ! Pour son prochain film, en particulier, « Les lumières de la ville », on a prétendu qu’il y aurait des parties sonores, puis qu’il n’y en aurait pas, puis que Charlie allait ajouter un prologue sonore au film, qui resterait muet… Où est-la-vérité ? La vérité, on la trouve dans une interview que Charlie lui-même vient d’accorder à Rob Wagner. En voici les passages essentiels.

Je dois reconnaître, a déclaré Charlie Chaplin, que les films parlants me fascinent, en même temps qu’ils m’irritent, et qu’ils m’effraient. Le film parlant durera,cela va de soi, mais il ne durera pas sous sa forme actuelle. La nouveauté continue à captiver les gens à tel point qu’ils ne s’aperçoivent pas-combien les résultats sont douteux au point de vue artistique. Les cinéastes s’efforcent de lier ce qu’il y a de conventionnel au théâtre avec ce qu’il y a de réaliste au cinéma, et cela aboutit à donner naissance à un enfant bâtard.

Il vaut beaucoup mieux lier étroitement entre elles la pantomime et la musique. Avec le film sonore, aujourd’hui, nous pouvons fixer la musique d’accompagnement d’une façon définitive : étant enregistrée et se déroulant mécaniquement comme le film lui-même, cette musique sera intangible et sa reproduction sera identique dans les salles les plus luxueuses et dans les salles les plus misérables. C’est là, pour moi, une chose très importante, et si, dans Les lumières de la ville, je ne me. sers pas de dialogue, je pense cependant que l’accompagnement d’orchestre que je donne à mon film répondra à toutes les espérances que  l’on fonde à cet égard sur le procédé sonore.charlie-chaplinJe n’utilise aucune chanson populaire; ma musique sera aussi originale que le film, dont on sait que j’invente moi-même les moindres détails. L’accompagnement musical de Les lumières de la ville, c’est moi qui en suis, l’auteur, et je l’ai composé de telle sorte qu’il soit exactement adapté au caractère et à la nature de mon personnage. Chacun de mes gestes, chacun de mes mouvements aura sa correspondance musicale. 

J’ai même composé une « rengaine à la mode », bien que dans un sens différent de celui que l’on attribue, en général, à cette expression. Cette rengaine, dans mon rôle des Lumières de la ville, je l’entends pour la première fois jouer au gramophone. Le public verra sur l’écran, en gros plan, la photographie du disque, dont l’étiquette portera le titre : Wondrous Eyes (Yeux splendides), par Charlie Chaplin. 

L’air est étroitement adapté à mon personnage, de sorte que dans la suite du film, lorsque je tombe amoureux de la jeune aveugle, la répétition de Wondrous Eyes, qu’elle soit exécutée par un orgue de Barbarie ou par un jazz à la mode, exercera chaque fois un puissant effet dramatique. En réalité, la musique d’accompagnement et la mélodie choisie comme motif de base donnent, pour ainsi dire, un arrière-plan à l’action, qu’elles servent à étayer et à étoffer, et elles sont, par suite, aussi importantes que la pantomime elle-même.

Mais la grande nouveauté des Lumières de la ville, ce sera, sans doute, ce que j’en ai composé moi-même, la musique d’accompagnement !

« L’Européen. » Paris, 8 janvier 1930.

Scène finale « Les lumières de la ville »

Un dîner chez Charlie Chaplin 

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godard-chaplinDans un premier salon, sont servis sur une vaste table, selon la mode russe, devenue mode américaine, des zakouski, des hors-d’oeuvre de toutes les sortes, tandis que trois serviteurs philippins passent des coktails, du porto, du xérès. C’est un premier repas copieux et savoureux.

Nous passons à la salle à manger, où, seules, huit bougies en cire éclairent table et convives. Menu succulent : salade de légumes variés, glaces, crèmes, fraises de Californie, ananas d’Honolulu, et, comme plat de résistance, un gigot d’agneau rôti avec des pommes de terre. Whisky and soda, vins de France, Champagne, et du Brandy trois étoiles servi avec le café… Nous restons quarante minutes à table, puis nous passons dans le grand salon. Chariot me prend dans un coin et me parle bateau, pêche, navigation. II se fait construire un nouveau yacht. Il adore la pêche aux grands poissons, si nombreux sur la côte du Pacifique. Il se complaît dans les voyages lointains, se félicite d’avoir fait le tour du monde. Après un tête à tête de dix minutes, il se rapproche de ses invités. L’on fait cercle autour de lui.

— Faites-nous, lui dit une des dames de ses amies, quelques-unes de vos incomparables imitations.
— Non. J’ai tourné tantôt une scène dramatique. Je ne suis pas d’humeur à « faire » du comique, mais, si vous le voulez, je vais vous raconter le scénario de mon nouveau film que j’ai gardé secret jusqu’à présent. 

Quelle aubaine ! les fauteuils se rapprochent,se resserrent, et Charlie Chaplin commence à parler, à mimer, à danser, à chanter l’oeuvre fantastique qu’il vient de mettre à l’écran. Représentation unique, sans précédent, où Charlot joue successivement les scènes les plus diverses, les plus inattendues, avec un esprit, un entrain, qui, toutes les deux minutes, déchaînent le rire et les applaudissements. Pendant près de deux heures le génial comédien joue, mime et chante, à la grande joie de ses invités tour à tour amusés, émus et bouleversés. Tantôt Charlot est à genoux devant une dame, tantôt il danse, tantôt il boite, glisse, trébuche, et retombe sur ses pieds avec une incomparable virtuosité…chaplin-godardLa représentation est terminée. Charlie Chaplin avale un grand verre de whisky and soda, tandis que ses amis le complimentent, lui serrent la main et l’embrassent avec une effusion, qu’ils ne peuvent dominer. Le génial acteur nous donne alors quelques détails techniques sur sou film. Il a établi lui-même le scénario, le texte, la musique. Il a procédé au découpage, il a dessiné et fait exécuter les décors, les costumes, les accessoires. Il s’est occupé, sans collaboration aucune, de la mise en scène, des éclairages et des prises de vue. Il a joué le rôle principal. Paulette Godard a tenu le premier emploi féminin. Dans certaines scènes il a fait manoeuvrer jusqu’à cinq cents figurants! Il travaille à cette production qu’il estime sans précédent, depuis dix-huit mois ! tantôt dans son studio, tantôt en plein air. Avant de commencer, il a fait établir par des experts un devis détaillé et complet : le devis a atteint le chiffre fabuleux de 18 millions de francs, 1 250 000 dollars.

Pour terminer mon oeuvre, j’ai encore trois scènes à tourner, nous dit-il, mais d’ores et déjà, j’ai dépassé le devis. J’ai dépensé 28 millions de francs. J’arriverai sans doute aux 30 millions. Ils seront sortis de ma poche, car je n’ai ni commanditaires, ni associés. Malgré cette formidable mise de fonds, je compte retirer de mon travail, tous frais payés, un bon nombre de millions ! Le monde est grand, n’est-il pas vrai ? 

Extrait : Henri de Rothschild. « Tour du Monde. » Hachette, 1936.

Charlie Chaplin renoncera-t-il  à tourner Le Dictateur ? 

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Chaplin abandonne Le Dictateur… Telle est la nouvelle qui circule dans tous les studios de Hollywood depuis hier. On ne verra pas Charlot dans ce film que le monde entier attendait avec curiosité. 

Depuis neuf mois déjà, le film était en « gestation ». Chaplin, disait-on, veut présenter dans cette bande sensationnelle, une caricature du Führer de la plus grande Allemagne et stigmatiser à sa façon les exagérations et la vanité des séides qui appliquent sans discernement ses idées. Les menaces dont il fut l’objet depuis le jour où son projet fut connu, et probablement les protestations officieuses ou officielles du Troisième Reich, sont sans doute à l’origine de l’abandon du film en cours. 

Le personnage inventé cette fois par Chaplin était non pas exactement celui d’un dictateur, mais celui d’un petit israélite enfermé dans un camp de concentration. Comme il ressemble trait pour trait au Führer, des ennemis de ce dernier ourdissent un complot.  Ils enlèvent par surprise le dictateur et lui substituent le prisonnier. 

Son premier décret annonce la dissolution du parti nazi, celle des milices brunes et autres et la libération de ses frères de race. Mais la vie officielle d’un dictateur est fatigante. Surmené par les inaugurations, les exhibitions et les acclamations, l’Israélite de jadis regrette l’obscurité du camp de concentration. Mais une femme a compris son désarroi. Grâce à elle, il échappera à sa prison dorée, et l’aide, à s’enfuir en Suisse, où il redeviendra lui-même. 

L’abandon est-il définitif ? On sait que Charlie Chaplin est capricieux, tout autant que volontaire. On prétend ici que son abandon n’est peut-être pas tellement définitif et que, comme il n’a jamais manqué de courage, il se pourrait que, bravant les dangers et l’opinion, il présentera peut-être  Le Dictateur à l’écran au moment où on s’y attendra le moins. 

« Paris-soir. » Paris, 19/11/1938.

Concurrence

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Une des plus importantes chapelleries de New York avait récemment affiché sur tous les murs de la ville des placards portant l’inscription suivante :

« Charlie Chaplin ne porte exclusivement que les chapeaux de notre marque…« 

Mais l’effet que la chapellerie en question attendait sans doute de cette réclame ne se produisit pas. Une maison concurrente imagina, hélas ! de faire coller au-dessous de chacune de ces affiches un papillon sur lequel on lisait ces simples mots :

« C’est d’ailleurs pourquoi il fait se tordre de rire le monde entier... »

« Chantecler : littéraire, satirique, humoristique. » Paris, 1932.

La belle-mère de Charlot

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New York, 16 janvier. Charlie Chaplin, à la suite des poursuites que sa femme a intentées contre lui, s’est montré si affecté qu’il doit garder la chambre. Les médecins déclarent que son état n’est pas grave.

Les puritains d’Amérique font une campagne tendant à interdire la production de films où paraît Charlie Chaplin. Celui-ci, très déprimé, affirme aux journalistes, qu’il était innocent des crimes qu’on lui reprochait et que c’était sa belle-mère qui menait toute l’affaire afin de s’emparer de sa fortune. Il affirme, notamment, qu’il est faux qu’il ait eu des relations extra-conjugales avec cinq actrices. Il s’est contenté de les admirer… en artiste !

La presse croit que la maladie de Charlie est un prétexte pour échapper aux interviews. Pauvre garçon !

« La Revue limousine : revue régionale. »  Limoges, 1927.
Illustration : « Charlot s’évade. » 1917.

Mauvais public

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Charlie Chaplin se fait tenir scrupuleusement au courant des succès et des critiques que remporte son film : « Les lumières de la ville » dans les divers pays du monde.

On lui apprit une dernière semaine que l’accueil du public italien lui était défavorable. En effet, à Rome, son imprésario a été dans l’obligation de baisser de moitié le prix du spectacle; à Milan et à Gênes, « City Lights« , au bout de huit jours, a été retiré de l’affiche.

 Charles Spencer Chaplin n’en a pas paru surpris :

Peut-être, riront-ils davantage, a-t-il murmuré, quand ils verront « Charlot dictateur »

« Chantecler. »  Hanoï, 1932.