Bourgogne
Expertise
On affirme qu’il n’y a qu’une catégorie d’experts qui ne se soient jamais trompés : les experts en dégustation. Rien ne pourrait leur faire donner une appréciation fausse et erronée. Je veux vous en donner la preuve par cette anecdote.
Un expert dégustateur en Bourgogne en entrant dans une cave, glisse et se fend le crâne. On accourt, on s’empresse autour de lui et comme il n’y a pas d’eau sous la main pour laver sa blessure, un tonnelier la baigne dans une sapine remplie de vin tiré à la première barrique venue.
Le blessé ouvrant un œil mourant et faisant claquer sa langue au palais, murmure alors avec effort: « Pommard 1800, bonne cuvée ! » puis il referme l’œil, se raidit et rend l’âme.
Voilà ce qui s’appelle un expert. Cette mort, dans son genre, est aussi belle que celle du soldat de Marathon.
« La Joie de la maison. » Paris, 1895.
Les moissons joyeuses
De nos jours les moissons sont bientôt faites. Le progrès a simplifié les durs travaux d’antan, mais, hélas ! il a supprime les riantes coutumes champêtres dont la simplicité ne manquait, ma foi, ni de grandeur ni de poésie.
Dans certaines contrées de la France, les moissons se passent aujourd’hui sans faste ni solennités. A peine certains coins, dont les blés sont renommés, ont-ils conservé quelques anciens usages qui décorent d’un ton discret de gaieté cette période de la belle saison qui enrichit généralement plus d’un propriétaire.
Il n’en était pas de même, autrefois. Je me souviens, tout enfant, d’avoir entendu « narrer » des réjouissances qui précédaient et suivaient les premiers et les derniers jours de la Moisson. Je passais mes vacances en Bourgogne, dans cette riante Côte-d’Or qui justifie si bien ce nom mirifique que nos aïeux lui avaient octroyé ! A cette époque, ce n’était déjà plus la grande solennité du siècle dernier, mais c’était tout de même quelque chose de moins banal… de moins « sec » qu’aujourd’hui.
Les Moissons, c’étaient les plus beaux jours de l’année, les plus joyeux, les plus rémunérateurs. En Côte-d’Or, dès la huitaine qui précédait le début des travaux, on préparait les réjouissances, on escomptait les jours de joie. Le dimanche « d’avant » le commencement des coupes, le patron des champs réunissait à sa table tous les ouvriers qui allaient, pour lui, couper les blés. C’était une joyeuse journée où la table craquait sous l’amoncellement des victuailles et les bouteilles de vins vieux. Cette agape se désignait de cette expression locale : « Planter les épines » où, encore, « Boire les vins ».
La dernière voiture de blé qui rentrait à la ferme, les moissons achevées, donnait prétexte à une nouvelle réjouissance qui surpassait encore la première en abondance et en allégresse. Ce repas fastueux s’appelait la « poêlée » ou, dans les campagnes plus « distinguées »… la « pêlée ».
Bien souvent les moissonneurs, pour être sûrs que ce festin ne leur serait pas supprimé, arrêtaient la dernière charrette de blé à la porte de la ferme et se couchaient sur le sol devant la voiture.
On ne la rentrait pas tant que le maître des champs n’avait pas fait apporter aux moissonneurs les paniers de victuailles et les bouteilles de vin que, d’après la coutume, ils étaient en droit d’exiger. Si les paniers étaient copieusement garnis, les moissonneurs, pour glorifier la récolte, dételaient l’attelage de la voiture, se mettaient à sa place et rentraient triomphalement la charrette dans la grange, en chantant de vieux airs du pays.
Puis on goinfrait, on se divertissait en refrains accompagnés des sons d’accordéon ou de violon et on terminait le repas de midi (bien souvent la nuit venue !) dans une sauterie champêtre dont les patrons devaient faire les honneurs et… les frais dans d’innombrables polkas ou mazurkas à la mode locale.
« Almanach des coopérateurs. » 1935.
Peintures : Julien Dupré. Amédée Guerard.
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