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Les nudités

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millet-nuJean-François Millet a raconté comment il renonça à la production facile, à ces publications mythologiques que les marchands achetaient de préférence aux œuvres sévères où l’artiste chantait le poème mystérieux des semailles, le temps joyeux de la moisson, la douceur vague et les tristesses de l’automne, la désolation de l’hiver. Voici   l’anecdote  empruntée à l’étude sur Millet que Ch. Yriarte a publiée dans la collection des Artistes français éditée chez M. Rouam.

Un jour, Millet, à la vitrine d’un marchand de tableaux, regardait une de ses Baigneuses, en même temps que deux messieurs qu’avait attirés le brillant des tons, l’éclat vitrifié des chairs. Et l’un, après un coup d’œil jeté sur la toile, dit à l’autre, avec un accent d’indifférence et de dédain qui mit des larmes dans les yeux du grand artiste anxieux :

« C’est de Millet, celui qui fait toujours des nudités« .

Millet ne peignit plus jamais de nudités; et pourtant, la gêne, la misère même s’assirent bien souvent à son pauvre foyer rustique, dans cette maisonnette de Barbizon, située à la
lisière dé la forêt, où il vécut et où il mourut, quand la mort l’appela à la fin du jour, comme elle fait signe au laboureur en cheveux blancs dans la danse macabre :

A la sueur de ton visage
Tu gagneras ta pauvre vie.
Après maint travail et usage,
Voici la mort qui te convie !

Source : « Le XIXe siècle. » 1887.
A lire : http://peccadille.net/2017/11/24/jean-francois-millet-peintre-paysans/

Rebuffade

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berlioz-norman-kyr

Combien avons-nous perdu d’oeuvres charmantes ou admirables parce que les rebuffades du début ont lassé des artistes trop nerveux ! 

Berlioz, un jour, recevait la visite d’un musicien inconnu qui lui apportait une partition. La chose lui ayant paru déplorable, il congédia le visiteur.  Puis, tout à coup, comme celui-ci descendait l’escalier, pris d’un remords soudain, il s’élance sur le carré et, se penchant sur la rampe :

Monsieur !… monsieur !…

L’autre s’arrête dans la descente et lève le nez en l’air.

Monsieur… vous savez… c’est peut-être moi qui suis dans mon tort. D’autres ont été assez bêtes pour ne pas me comprendre. Je suis peut-être aussi bête qu’eux en ne vous comprenant pas.

Et il referma sa porte avec la satisfaction de l’homme qui vient de soulager sa conscience d’un grand poids.

« Courrier de l’art. » Paris, 1884.
Illustration : détail d’une photo de Norman Kyr

Avarice

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Lupe-Velez

L’anecdote suivante, dont tout Hollywood s’est fort amusé, est rigoureusement vraie. Lupe Velez, la brune Mexicaine, téléphone un jour à une amie :

Sheila, ma chérie, il faut absolument que vous me rendiez un grand service !
Vous savez, Lupe, que je ferai tout ce…
Vous êtes un amour ! coupe la vedette. Écoutez : on veut me voler…
Diable! Avisez la police !
Mais non ! Mais non ! C’est un commerçant qui veut me compter beaucoup trop cher un tapis dont j’ai besoin pour ma maison.
Et que puis-je faire pour vous ?
Vous êtes dans les affaires. Vous savez beaucoup mieux que moi vous défendre. Accompagnez-moi et allons discuter avec le vendeur.

Sheila abandonne tout, quitte son bureau en hâte et vole au secours de Lupe Velez qu’elle a bientôt rejointe.

Quelle grande folie complotez-vous ? demande-t-elle. Je parie qu’il s’agit de ce tapis d’Orient à 1.400 dollars que nous avons vu ensemble l’autre jour à la devanture d’un magasin…

Lupe montre de grands yeux candides.

Oh ! mais non, voyons ! C’est un tapis en caoutchouc pour la salle de bain : on m’en demande 6 dollars et je suis sûre qu’il n’en vaut pas quatre.

Grâce à Sheila, le tapis est obtenu à 5 dollars et les deux amies se séparent. Le soir, Sheila reçoit un coup de téléphone de Lupe :

Vous savez, le tapis d’Orient ? Je l’ai acheté en passant, avant de rentrer à la maison.

« Midinette. »  Paris, 1937.

Justice picturale

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Charles-François-Daubigny

Je ne sais pas ce que l’avocat de Jean-Charles Millet a l’intention de raconter aux juges le jour de l’audience pour la défense de son client, mais il semble que, si j’étais à sa place, je n’hésiterais pas.

 Messieurs, dirais-je, l’homme que vous avez devant vous n’est pas l’escroc vulgaire que l’on a tenté de représenter, c’est un justicier ! En contrefaisant les toiles de son illustre grand-père, il cherche non pas à réaliser un profit pécuniaire, mais à satisfaire un besoin autrement noble, autrement élevé. Il a voulu venger le grand peintre que l’ignorance des amateurs, la cupidité des marchands condamnèrent jadis à la misère !…

— Savez-vous, Messieurs, combien M. Millet vendit l’Angélus, cette toile célèbre dans le monde entier et qui, aujourd’hui, se vendrait au moins une dizaine de millions ?… Huit cents francs, Messieurs, huit cents francs, en tout et pour tout ! Aussi mourut-il dans un état voisin du dénuement, après avoir peint pendant plus de quarante ans des centaines, des milliers de toiles dont la moindre vaut à présent une fortune…

 Mon client, Messieurs, a compris la leçon que comportait une telle aventure. Artiste de valeur, lui aussi, il aurait pu sans doute peindre des tableaux, des vrais, qui eussent fait, dans quelques années, la fortune des marchands. Il a préféré en vendre de faux, et récupérer de la sorte l’héritage de son aïeul.

Voilà ce que je dirais, étant avocat, pour défendre le faussaire J.-C. Millet. Mais peut-être serait-il condamné tout de même. Pour peu que. le Président du tribunal soit amateur de peinture et ait, dans sa collection, quelques Millet fabriqués par Paul Cazot…

« Le Quotidien de Montmartre : journal hebdomadaire. » Paris, 1930.

Illustration : Charles-François Daubigny.

Ruses innocentes

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Robert-Nanteuil.

Robert Nanteuil, le célèbre graveur du XVIIe siècle, eut, comme beaucoup d’artistes, des commencements difficiles. Né à Reims, où, en se livrant aux études qui recevaient alors le nom d’humanités, il avait acquis, presque de lui-même, une grande habileté dans le dessin, il devait chercher, pour suivre fructueusement sa vocation, un autre théâtre qu’une ville de province.

Charles Perrault qui lui donne avec raison une place dans son recueil des Hommes illustres raconte ainsi l’ingénieux expédient qu’il employa.

Comme ses talents, quoique très beaux, n’étaient pas d’une grande utilité dans son pays natal, et que, s’étant marié fort jeune, ils ne lui fournissaient pas de quoi soutenir les dépenses du ménage, il résolut d’aller chercher ailleurs une meilleure fortune. Il laissa donc sa femme et vint à Paris, où, ne sachant comment se faire connaître, il s’avisa de cette invention :

Ayant vu plusieurs jeunes abbés à la porte d’une auberge proche de la Sorbonne, il demanda à la maîtresse de cette auberge si un ecclésiastique de la ville de Reims ne logeait point chez elle. Il en avait oublié le nom malheureusement, mais elle pourrait bien le reconnaître par le portrait qu’il en avait fait. En disant cela il lui montra un portrait très bien dessiné, et qui avait tout l’air d’être fort ressemblant. Les abbés qui l’avaient écouté et qui jetèrent les yeux sur le portrait en furent si charmés qu’ils ne pouvaient se lasser de l’admirer et de le louer à qui mieux mieux.

Si vous voulez, Messieurs, leur dit-il, je vous ferai vos portraits pour peu d’argent, aussi bien faits et aussi bien finis que celui-là.

Le prix qu’il demanda était si modique qu’ils se firent tous peindre l’un après l’autre, et ces abbés ayant amené  leurs amis, les clients lui vinrent en si grand nombre qu’il n’y pouvait suffire. Cela lui fit augmenter le prix qu’il en prenait. En sorte qu’ayant amassé en peu de temps une somme d’argent assez considérable, il s’en retourna à Reims trouver sa femme, à qui il conta son aventure et lui montra l’argent qu’il avait gagné.

Ils vendirent aussitôt ce qu’ils avaient à Reims et vinrent s’établir à Paris. En peu de temps son mérite fut connu de tout le monde…

 » Musée des familles. »  Charles Delagrave, Paris, 1897.
Illustration : Autoportrait de Robert Nanteuil.

L’enseigne

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Thomas-Couture

Un jeune peintre de talent, M. Thomas Couture, fort connu par son grand tableau de l’Orgie romaine, a été l’objet d’un quiproquo qu’il a pris fort gaiement. Il était dans son atelier, occupé à combiner on ne sait plus quel groupe historique, lorsqu’on frappa trois coups à la porte.

Entrez ! s’écria l’artiste.

En même temps, il vit s’avancer un homme en casquette et en bourgeron.

Monsieur, lui dit l’inconnu, vous êtes peintre ?
Oui, mon brave.
— On dit que vous êtes fort dans votre partie ?
Oui, quelques amis sont assez indulgents pour dire cela.
Eh bien ! je vous apporte de l’ouvrage. Voulez-vous travailler pour moi ?
 Pourquoi pas ? Que vous faut-il, un portrait ou un tableau de genre ?
Ça m’est égal, pourvu que ça se fasse voir.

Là-dessus le marchand de vin (c’en était un) fit comprendre à l’artiste qu’il désirait avoir pour son commerce une enseigne sous ce titre : « Au Vert-galant ».

M. Thomas Couture prit ses pinceaux et fit… un rébus.

Le vert-galant qu’il a dessiné, ce n’est pas Henri IV, c’est un gobelet, un verre avec des guirlandes de fleurs. Tout le monde s’arrête devant cette enseigne originale, rue Racine.

« Almanach de la littérature, du théâtre et des beaux-arts. » Paris, 1853.