Annabella

Superstitions en studio

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On a souvent dit que les gens de théâtre étaient plus superstitieux que quiconque. Cela s’explique aussi facilement que le trac. Le fait de se présenter devant un public implique toujours, quel que soit le talent d’un artiste, une part de risque que, malgré lui, et  presque inconsciemment, il essaiera toujours de diminuer par des pratiques rituelles. Pratiques défensives plus qu’offensives.

Les acteurs de cinéma, et même les comédiens qui abordent le studio ont des nerfs moins sensibles. C’est sans doute parce qu’ils n’ont pas de contact direct, à la fois délicieux et redoutable, avec le public. Un geste, une intonation sont-ils mauvais ? Il suffit de tourner la scène une fois de plus. Considérable au théâtre, le facteur « hasard » se débilite à l’éclat des sunlights. Et l’on prend l’habitude de le braver avec beaucoup moins de précautions.

Non seulement je ne suis pas superstitieux, disait un jour Charles Vanel, mais je trouve ça idiot chez les autres. Et je suis très content lorsque quelqu’un allume trois cigarettes avec la même allumette.
— Je n’aime pas beaucoup évidemment qu’on prononce le mot « poisse », reconnaît Henri Roussel, en passant la main sur le dos d’une chaise, mais je n’ai jamais constaté que ça ait une influence mauvaise.
— Non, pas du tout superstitieuse, assure Florelle.
— Des blagues, prétend Odette Talazac
— Donnez-moi un joli rôle un vendredi 13, je le prendrai quand même, précise Simone Simon.
— Ma fille n’aime pas les chapeaux sur les lits, ni les parapluies ouverts dans les maisons, avoue la maman d’Annabella. Mais je crois que c’est tout simplement parce qu’elle aime l’ordre et qu’elle a horreur de l’odeur de la soie mouillée.
— Il m’est très désagréable qu’on parle à l’avance du succès d’un film, dit Mme Jeanne Fusier. Appelez-vous ça de la superstition ? Ou n’est-ce que de la prudence ?

André Roanne, Henri Garat, Roger Tréville sont des hommes forts. Ils n’usent, eux non plus, d’aucun truc vis-à-vis de la chance. Elle ne les a pas boudés quand même ! Le metteur en scène Tourjansky n’aime pas que l’on siffle dans un studio, mais tout le monde sait que ça ne doit se faire que dans une écurie. Il existe à ce sujet une très jolie histoire marseillaise.

Pour qu’une exception vienne confirmer la règle, une de nos plus jolies vedettes du cinéma français est, elle, effroyablement superstitieuse : c’est Simone Cerdan.

Mais certainement, je le suis… Pour rien au monde je ne porterais une robe verte. Et pourtant, le vert me va très bien… Et tourner dans un décor où il y a des poissons peints ? Quelle horreur ! Ça me couperait tous mes effets ! Je vous assure, ça porte malheur… C’est très sérieux !

Le compositeur Roland-Manuel, qui a écrit la musique de nombreux films, résumait d’une façon fort élégante l’état actuel de la question :

C’est évident, on est de moins en moins superstitieux, mais on le reste quand même, par politesse. Je n’inviterais pas treize personnes à dîner, parce que l’une d’elles pourrait en être désagréablement affectée. Je ne vous donnerais pas du feu avec une allumette qui aura servi déjà deux fois, parce que cela pourrait vous être désagréable. Je crois que nous évitons ainsi, machinalement, beaucoup de petits gestes auxquels nous n’accordons plus aucune signification maléfique, simplement parce que « ça ne se fait pas »… Toutes nos habitudes de politesse n’ont-elles pas aujourd’hui un sens bien détourné de leur origine ? Lorsque vous inclinez la tête devant quelqu’un, vous souvenez-vous que, jadis, les captifs signalaient ainsi leur humilité et leur faiblesse, en offrant la leur à couper ?
— Cela ne fait rien, reprit Simone Cerdan, en vérifiant dans une glace l’état de son maquillage, vous ne me ferez pas porter une robe verte !…

Sarreau de Maynard, Dans L’Intransigeant du 26 février 1932.  12