amour-propre
Cordiale rivalité
On a beaucoup exagéré la rivalité entre Michel-Ange et Raphaël, comme le démontre entre autres l’anecdote rapportée par Cinelli à propos des fresques de la Pace.
Raphaël d’Urbin avait peint pour Agostino Chigi à Santa Maria della Pace quelques prophètes et quelques sibylles sur lesquels il avait reçu un à-compte de 500 écus. Un jour il réclama du caissier d’Agostino le complément de la somme à laquelle il estimait son travail. Le caissier, s’étonnant de cette demande et pensant que la somme déjà payée était suffisante, ne répondit point.
— Faites estimer le travail par un expert, dit Raphaël, et vous verrez combien ma réclamation est modérée.
Giulio Borghesi (c’était le nom du caissier) songea tout de suite à Michel-Ange pour cette expertise, et le pria de se rendre à l’église et d’estimer les figures de Raphaël. Peut-être supposait-il que l’amour-propre, la rivalité, la jalousie, porteraient le Florentin à amoindrir le prix de ces peintures. Michel-Ange alla donc, accompagné du caissier, à Santa Maria della Pace, et, comme il contemplait la fresque sans mot dire. Borghesi l’interpella.
— Cette tête, répondit Michel-Ange, en indiquant du doigt une des sibylles, cette tête vaut cent écus !
— Et les autres ? demanda le caissier.
— Les autres valent autant.
Cette scène avait eu des témoins qui la rapportèrent à Chigi. Il se fit raconter tout en détail, et, commandant d’ajouter aux 500 écus pour cinq têtes 100 écus pour chacune des autres, il dit à son caissier :
— Va remettre cela à Raphaël en paiement de ses têtes, et comporte-toi galamment avec lui, afin qu’il soit satisfait, car s’il voulait encore me faire payer les draperies, nous serions probablement ruinés.
Amour-propre
Un auteur a qualifié l’amour-propre, le plus grand de tous les flatteurs. Ou encore : amour de soi, qui peut, au cas échéant, tenir lieu de tout ce qu’on n’a pas.
« L’amour-propre, disait le célèbre théologien protestant Abbadie, entre essentiellement dans toutes les vertus. Une bonne action n’est qu’une manière de s’aimer, un amour-propre plus noble que les autres. »
L’amour-propre, a dit Voltaire, fort expert d’ailleurs en cette question, est semblable à l’avarice, il ne laisse rien traîner. L’une se baisse pour ramasser la plus misérable guenille, el l’autre le plus plat éloge.
Nul mortel, peut-être, ne porta la présomption et l’amour-propre plus loin qu’un certain Ségérus, professeur en l’Université de Wirtemberg. Il fit graver son portrait au-dessus d’un crucifix, avec cette inscription :
« Seigneur Jésus, m’aimez-vous ?«
Et Jésus répondait :
« Oui, très illustre, très excellent, très docte seigneur Ségérus, poète couronné par sa majesté impériale, et très digne recteur de l’université de Wirtemberg, oui, je vous aime !«
L’amour-propre
![Norman Rockwell](https://gavroche60.wordpress.com/wp-content/uploads/2014/12/rockwell.jpg?w=264&h=337)
L’amour-propre est le plus souple et le plus ingénieux des Protées; il se plie à tout, tire parti de tout, et ne dédaigne rien. Compagnon de l’enfance, il grandit avec l’homme, mais ne vieillit pas comme lui; car il survit à ses passions, et semble hériter de ses goûts. Dans la jeunesse, son thème favori est la grâce; dans l’âge mûr, la raison; dans la vieillesse, l’expérience. Par lui l’homme médiocre prétend au jugement, l’homme d’esprit au génie, et l’homme supérieur se croit universel.
Lorsque les qualités manquent, il cherche à faire prendre le change sur les défauts. L’avarice s’appelle économie; la profusion, générosité; la colère, vivacité: la brusquerie, franchise. Celui qui tirait autrefois vanité de sa force et de sa bonne santé, vous entretient aujourd’hui avec complaisance, de sa délicatesse et même de ses souffrances: il en trouve la cause dans un excès de sensibilité; enfin, tel qui cachait son âge à quarante ans l’augmente à quatre-vingts.
De Lévis
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