Académie des sciences

L’huile et la mer

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bateau

M. l’amiral Cloué a fait à l’Académie des sciences une intéressante communication sur le filage de l’huile à la mer. Depuis le mois de janvier 1883, de nombreuses expériences ont été faites soit à bord des navires, soit à l’entrée des ports. L’amiral Cloué a réuni et dépouillé environ 200 de ces expériences. La question lui paraît aujourd’hui résolue, et il insiste avec raison sur la nécessilé de donner la plus grande publicité aux résultats obtenus, résultats dont l’importance pratique est trop négligée en France.

Toutes les expériences sont d’accord pour attester les singulières propriétés de l’huile répandue à la surface de la mer, sur la merveilleuse rapidité avec laquelle l’huile s’étale et se répand au loin sur la promptitude avec laquelle les vagues s’affaissent et le calme relatif s’établit au contact de la couche huileuse. Le procédé de filage est très simple : il suffit de placer à l’avant ou sur les côtés du navire des sacs de 6 à 20 litres, contenant de l’étoupe imbibée d’huile, de percer le fond avec des aiguilles à voile et de laisser ainsi l’huile filtrer à la surface de l’eau. L’effet est en quelque sorte instantané ; les volutes et les brisants disparaissent ; il ne reste plus que de longues lames de houle, et cela à une distance de plus de cinquante mètres autour du navire.

Toutes les variétés d’huile peuvent être utilisées, les meilleures sont les huiles de poisson et l’huile de phoque ; les huiles minérales sont trop légères ; les huiles végétales ont l’inconvénient de se figer dans certaines eaux trop froides. La quantité d’huile nécessaire est très minime. Sur les deux cents observations consultées par l’amiral Cloué, trente ont pris note de la consommation d’huile. La moyenne générale est de deux litres vingt centilitres par heure, et quatorze navires n’ont pas dépensé plus de soixante-six centilitres par heure.

Si mince que soit la couché huileuse, elle suffit pour empêcher le vent d’agir sur la surface des eaux. En calculant d’après la quantité d’huile employée et l’étendue de mer recouverte, on voit que l’épaisseur de cette couche est une fraction de millimètre tellement minime qu’on ose à peine l’énoncer, de peur de faire crier à l’exagération : elle est de un quatre-vingt-dixième de millimètre.

L’amiral Cloué conclut que l’emploi du filage de l’huile s’impose à tout navire menacé d’être envahi par les vagues, et que ce procédé donne un moyen certain de se garantir des effets menaçants de la grosse mer. Il espère que sa communication attirera l’attention des navigateurs français, et que le ministère de la marine et les chambres de sauvetage s’empresseront de propager et de perfectionner le filage de l’huile.

Et dire que cette propriété de l’huile de calmer les flots était connue et utilisée des marins de l’antiquité, et qu’au dix-huitième siècle Franklin publiait déjà sur cette question le résultat de ses observations et de ses expériences, qui devaient rester si longtemps sans application pratique !

« La Revue des journaux et des livres. »  Paris, 1887.

Voir également :
http://environnement.savoir.fr/peut-on-calmer-la-mer-avec-de-lhuile/