Lettre ouverte d’un brochet charentais

Publié le Mis à jour le

pecheur

A MONSIEUR LE MINISTRE RESPONSABLE DE L’OUVERTURE DE LA PECHE AVANT LA DATE HABITUELLE

Monsieur le Ministre,

Je suis un brochet charentais et je me suis toujours conformé aux lois qui régissent nos rivières : je ne mange pas plus de quinze « vairons » par jour, des « veurdons » selon l’expression du pays. Moi aussi je suis taxé. Or, Monsieur le ministre, vous nous avez réservé le dimanche 10 juin une surprise-pêche qui n’est pas une surprise-party et qui a été peu goûtée des nôtres. Vous avez ouvert la pêche huit jours plus tôt que convenu pour permettre à nos frères humains d’affirmer le 17 juin leurs convictions conscientes de liberté, d’égalité et de fraternité.

Mais vous ne nous avez pas fait bénéficier du « préjugé favorable ». Nous n’étions pas préparés pour cette attaque brusquée. Vous n’avez pas joué franc jeu et pour nos frères de la Charente, de la Boutonne, de la Seugne, de la Tardoire, de la Touvre, de la Dronne, de la Sonnette et du Mignon, cette journée du 10 juin a été une hécatombe.

Les gaulistes (avec un seul « L ») ou chevaliers de la gaule charentais nous ont livré des combats inégaux. Sans compter ceux de la rivière « L’Antenne » qui vinrent nous ferrer dans des trous d’anciennes plâtrières en violant les lois de la neutralité. Les carpes, les aubournes, les chabannes et les tanches, victimes de leurs querelles stériles et de leur manque de clairvoyance, ont été décimés. Seule la truite a pu échapper au désastre en raison de la froideur de la température. Quant à l’anguille, elle est restée sous roche.

Protestant contre cette lutte inégale dans laquelle la Racine Tortue Nylon a fait des ravages, nous nous élevons avec indignation contre l’ouverture prématurée de la surprise-pêche et nous informons le gouvernement que si pareil fait venait à se reproduire dans l’avenir, nous ne mordrons plus à l’hameçon : nous ferons la grève sur l’asticot et nous refuserons de nous apparenter.

Veuillez agréer, Monsieur le ministre, avec nos respects aquatiques, une cordiale poignée de nos nageoires.

Le brochet moyen.

Pour copie conforme.

goulebeneze

(Histouères de la Pibole, juin 1951.)
« Aguiaine : revue de recherches ethnographiques. »
Photo : Agence Rol.

2 réflexions au sujet de « Lettre ouverte d’un brochet charentais »

    jmcideas a dit:
    décembre 18, 2015 à 9:36

    Excellent, j’adore…………mais je pense surtout au génocide des écrevisses américaines du marais poitevin
    (que certains ramènent en mairie pour 10 centimes de récompense au kilo)
    Une cour martiale leur sera dédiée!

    Aimé par 1 personne

    Maître Renard a dit:
    octobre 3, 2016 à 10:08

    A reblogué ceci sur Maître Renard.

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.