Une sorcière brûlée à Senones

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sorcière

C’était en 1482, année au cours de laquelle peu d’événements célèbres se sont passés (précédant celle qui a vu naître Luther et mourir Louis XI).

Il parvint aux oreilles du prieur de l’abbaye de Senones qu’une femme de Ménil se livrait aux triaige et genocherie et qu’elle était accusée de sorcellerie.

Cette femme, qui se nommait Idatte, épouse de Colin Paternostre, fut appréhendée et enfermée dans les prisons de l’abbaye de Senones.

Les faits à la charge de la détenue ayant été trouvés suffisants par le prieur et l’abbé, ceux-ci firent venir un inquisiteur de la Foi qui l’interrogea et entendit plusieurs témoins contre elle.

Je me demande si le mari Colin était au nombre de ces témoins. Cela devait être. Et si dans sa déposition il a témoigné pour ou contre son épouse. Il est certain que si Idatte allait au sabbat, elle devait quitter souvent la couche maritale et ne pouvait le faire et se rendre sur la montagne d’Orthomont, à cheval sur un balai, sans que son époux ne puisse s’en apercevoir.

Le pauvre Colin devait connaître les égarements et les turpitudes de sa femme, et je suppose qu’étant terrorisé par elle il a dû, lorsque celle-ci a été hors d’état de lui nuire, raconter ses déboires à l’inquisiteur. Ou, aimait-il bien sa sorcière et y a-t-il, le plus possible, atténué les charges qui pesaient sur elle. C’est grand dommage que la chronique soit muette à ce sujet.

Quoiqu’il en soit, l’inquisiteur fit son procès à dame Idatte ou plutôt fit un réquisitoire qu’il lut publiquement en chaire, la déclarant convaincue de culpabilité suivant sa propre confession et les témoignages entendus.

Ceci fait, le maire et les officiers de l’abbé conduisirent la coupable sur une pierre ronde au-dessus et à côté du grand chemin, dans l’abbaye, et la livrèrent à Jean du Puy, prévôt du comte de Salm voué de l’abbaye, pour que celui-ci fasse rendre justice.

Ensuite Idatte fut menée devant le portail de l’église où le prévôt séant au siège de justice, accompagné de plusieurs autres officiers, ordonna à tous les sujets de l’abbaye et à ceux du comté de Salm qui étaient présents, de statuer sur le cas de l’inculpée.

Comme on le voit, c’était la vraie justice populaire.

Les assistants s’étant écartés et ayant discuté longuement et opiné rendirent et prononcèrent leur jugement, dont lecture fut faite à l’accusée par Ferri le Masson, de Senones, à ce commis.

Ce jugement, rendu le 26 août 1482, dit : 

Que la nommée Idatte, pour les choses contenues en son procès et attendu sa confession pour les choses de triaige, genocherie et matières contre la sainte Foy catholique et les commandements de notre sainte Mère l’Eglise, qu’elle connue crimineuse avec son corps devait bien être arse, brûlée et fulminée et pour cette cause tous ses héritages avec toutes leurs appartenances, selon les anciennes chroniques et selon le droit des anciennes et louables coutumes en tels cas observées de temps immémorial, étaient enchus et confisqués et devaient appartenir aux dits seigneurs, abbé et couvent de Senones comme seigneurs à cause de leur monastère et tous ses biens, meubles devaient pareillement appartenir aux dits seigneurs comtes de Salm comme avoués du dit monastère et Val de Senones.

Dom Calmet en relatant ces faits peu connus dans l’Histoire de la Lorraine, ajoute: Mais dans tout ceci je ne vois aucun fait particulier, ni aucune preuve de la prétendue sorcellerie de cette malheureuse.

En fait, la chronique ne donne rien de plus et ne relate aucune des choses qui ont servi de base à l’accusation et au jugement.

Mais Colin Paternostre qui perd sa femme brûlée vive et voit ses biens confisqués lorsque peut-être il avait songé en hériter, n’est-il pas un peu à plaindre ? A-t-il pu seulement recueillir les cendres de sa sorcière épouse ? C’est peu probable.

« Le Pays lorrain. »   dir. Charles Sadoul, Société d’archéologie lorraine, Berger-Levrault (Nancy) 1904

7 réflexions au sujet de « Une sorcière brûlée à Senones »

    Éric G. Delfosse a dit:
    juillet 20, 2014 à 2:10

    Triaige, du latin « triga » = sorcier, je suppose ?
    Et genocherie, l’art de la divination ?
    Purée, ils savaient pô causer comme tout l’monde, à c’t’époque ?

    😆
    Blague à part, à l’époque, il y a quand même eu pas mal de procès pour sorcellerie. Dès qu’on soignait un tant soit peu avec une tisane, hop, on était dénoncé par un voisin jaloux, et on se retrouvait devant l’inquisition.
    Dans mon petit village de royalement six cents (et quelques) habitants, il y a eu quatre sorcières jugées !
    Aujourd’hui, on essaie de minimiser, et l’église affirme, preuves à l’appui (hem…), qu’il n’y a eu que quelques malheureux cas isolés…
    M’ouais, c’est ça… Et il n’y a eu que deux voitures brûlées en France le 14 juillet, preuves à l’appui, aussi ?

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    brunomeurin a dit:
    juillet 20, 2014 à 2:16

    Merci les cathos!

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      lesouffleurdemots a dit:
      juillet 20, 2014 à 4:53

      Euh un peu trop raccourci non? Il faut connaitre le contexte et là, on a eu affaire à des cathos intégristes ou extremistes, malheureusement dans une époque de peur etc;…

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        Éric G. Delfosse a dit:
        juillet 20, 2014 à 5:59

        C’est vrai que c’est très raccourci, mais à l’époque, (presque) TOUS les cathos étaient plus ou moins « extrémistes » (ou quelque chose comme ça).
        Parce que, tout simplement, la vie était régie par des règles religieuses, et/ou que les lois existantes étaient inspirées de lois religieuses. Et qu’en outre, dès qu’on voyait « quelque chose d’anormal », on n’avait immédiatement qu’une pensée : « c’est l’œuvre du diable », ce qui est bien une réaction purement catholique, voir partout ce fameux diable qu’il faut combattre (encore de nos jours, dans certaine campagnes, quand quelqu’un éternue, on lui dit « que dieu te bénisse » parce que, jadis, l’éternuement était considéré comme une tentative de prise de possession par le diable !)…
        Bref…
        Quand quelqu’un passait devant un tribunal pour sorcellerie, ce n’était jamais que par des catholiques (ou par des gens respectant les lois catholiques) qu’il était jugé et condamné, puisque c’est l’église qui avait initialement décidé que les sorciers devaient être jugés comme des « hérétiques ».
        Donc, oui, merci les cathos … du moins les cathos de cette époque. 😉
        Cette brave dame n’est pas un cas isolé à avoir été jugée et condamnée « par des catholiques extrémistes »…
        C’est par dizaine de milliers que des gens furent jugés « pour sorcellerie ».
        J’ai en tête le chiffre de 75.000, extrait de je ne sais plus quel ouvrage qui recense les procès pour sorcellerie (mais je n’ai pas le courage de rechercher la référence maintenant).
        Évidemment, dès que quelqu’un dérangeait un peu trop, hop, on le dénonçait comme sorcier (un peu comme quand, dans les années 40, certains ont dénoncé comme « juif » un voisin qui embêtait les gens) : il n’y a donc pas eu que des « vrais sorciers » à être torturés et/ou à périr sur le bûcher (ou autrement : souvent, on les zigouillait avant de les brûler).

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          Éric G. Delfosse a dit:
          juillet 20, 2014 à 6:05

          (et en parlant de chiffres … dans l’article en lien ci-dessous, on parle de 25.000 Allemands condamnés pour sorcellerie entre 1500 et 1782 : en moyenne 7 chaque mois… ça fait beaucoup d’extrémistes, finalement… 😉 )
          Bon, je file éplucher mes navets, j’ai faim…

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    Éric G. Delfosse a dit:
    juillet 20, 2014 à 2:16

    Par association d’idées…
    Sur « La Libre Belgique » :
    http://www.lalibre.be/debats/opinions/rehabiliter-les-sorcieres-51b8e59ee4b0de6db9c57a49
    Ça date un peu, mais je me demande ce que cette idée de réhabilitation est devenue… Et si l’on va faire de même en Belgique…

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    Maître Renard a dit:
    avril 21, 2016 à 3:52

    A reblogué ceci sur Maître Renard.

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